Au croisement du comique et de la tragédie, de l'absurde et de la fatalité du réel, la nouvelle pièce du Théâtre régional de Béjaïa, signée et montée par le comédien Mouhoub Latrèche, a eu dimanche soir, à l'occasion de sa générale, une résonance particulièrement désopilante au grand bonheur du public. Iderweche Meskine (Le pauvre! il a perdu la raison), qui emprunte au théâtre de l'absurde, a en effet, emballé, autant par la simplicité du texte dramaturgique, ses emprunts, un savoureux cocktail de Homk Salim du défunt dramaturge Abdelkader Alloula et du Journal d'un fou de Nicolaï Gogol que par la pertinence de ses répliques, puisées de l'humour populaire le plus décapant. En fait, la pièce, qui met en relief la dérive mentale d'un homme en proie à de furieuses divagations d'abord, mais qui finit ensuite par se déconnecter complètement de son réel, s'articule essentiellement sur la gestuelle et le langage, utilisés non pas comme un vecteur de communication, mais réduit à une prosaïque fonction ludique. Mouhoub Latrèche, qui ne s'est pas attribué un patronyme, est un employé déçu de l'administration. Il y est non seulement méprisé mais doit de plus subir les railleries de ses chefs, qui menacent, de l'évincer à tout moment. Il en a la certitude car pour lui «quand il y a des augmentations on commence toujours par le haut de l'échelle. Quand il y a des licenciements, on les entame par le bas». Devant son impuissance à changer son statut, il sombre dans l'imaginaire et s'alimente d'évidences qui ne valent que dans son esprit. Il veut être considéré, mais ne fait rien pour y arriver. Il s'enivre, arrive en retard au boulot, et fait le débile de service. Seule parade pour prendre sa revanche, son monde fantasque, dans lequel les chiens parlent, écrivent, et tombent amoureux. Un délire paranoïaque, pendant lequel il exulte d'amour pour la fille de son directeur, dont la beauté est confondue avec un «décret présidentiel».