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Après le ramadan...l'Aïd
BEJAIA
Publié dans L'Expression le 30 - 11 - 2002

Tradition oblige, cette fois encore, il va falloir desserrer les cordons de la bourse.
Depuis le début du mois sacré, le rythme de vie à Béjaïa, est une véritable course contre la montre. En réalité, c'est le fait de devoir arriver à temps pour la rupture du jeûne qui pousse les personnes à courir à longueur de journée afin de terminer leurs différentes besognes avant l'heure de l'adhan. Les femmes, particulièrement, trouvent un mal fou à aligner leur programme sur les multiples tâches quotidiennes d'autant plus, que la préparation du f'tour, leur demande un temps appréciable. Après la rupture du jeûne, le calme revient. Les anecdotes du jour en font sourire plus d'un. «C'est ramdane...», s'amusent à dire quelques bons penseurs contemporains, qui passent l'éponge sur une journée de carême harassante. «Après tout, nous ne sommes que de faibles êtres humains, livrés à nos caprices et à nos fantasmes...Dieu est Clément et saura reconnaître les siens...»
Remarques fréquentes afin de remettre de l'ordre dans une conscience qu'un état d'âme a malmenée, le Ramadan, mois de la clémence, se transforme en mois de la démence. Oh, ne vous inquiétez surtout pas, si le commerçant pique sa crise de nerfs devant vous parce que vous avez constaté les prix. Après l'adhan, il retrouvera son sourire, mais gardera toujours ses prix que vous acceptez cette fois-ci sans rechigner...Pourquoi? Eh bien, c'est le ramadan.
L'Aïd approche à grands pas, une autre course est entamée par les ménagères et les mères de famille, les préparatifs vont bon train, il faut songer à préparer les traditionnels gâteaux et pour la circonstance, penser à acheter de nouvelles tenues aux enfants. Encore un passage obligatoire pour les bourses. Tradition oblige cette fois encore, il va falloir desserrer les cordons de la bourse. Peu importe, il faut que les enfants ressentent la joie de l'Aïd et pour cela, plus d'un père va devoir recourir aux crédits et aux prêts, et tant pis pour les autres projets.
Après le f'tour donc, Béjaïa rallume ses lampions et la ville s'anime, les magasins ouverts une bonne partie de la soirée, drainent une foule cosmopolite.
La terrasse de la place Gueydon, devient une véritable ruche, femmes, enfants, hommes, jeunes et vieux s'y retrouvent. Les cafés alentour sont pris d'assaut et ne désemplissent qu'aux premières lueurs de l'aube, des badauds s'approchent de vous pour vous demander l'aumône, de quoi se payer une zalabia, son odeur est perceptible à des kilomètres à la ronde.
Squattés et transformés en artères commerciales, les trottoirs du centre-ville regorgent de trabendistes. Disposées à même le sol sur des cartons, les marchandises importées d'outre-mer, sont proposées à des tarifs défiant toute logique.
Comme on s'y attendait, l'approche de l'Aïd a provoqué la course au gain facile. Une paire de chaussures pour enfant frôle les 6000 DA, un pantalon les 3.500 DA et une chemise toute simple les 2800 DA. La fièvre de s'enrichir du jour au lendemain n'est pas étrangère à ce manège. Nous avons même reconnu d'anciens trabendistes dans le domaine vestimentaire, transformés en commerçants de luxe. Au centre-ville, les choses ne sont pas meilleures, même manège, même stratégie, la différence réside plutôt dans l'animation nocturne.
En effet, on dirait que les gens ne consentent à quitter leur foyer que durant les soirées de ramadan, le reste de l'année, Béjaïa est déclarée ville morte dès la tombée de la nuit. Juste après le f'tour, une effervescence sans pareille s'empare des artères de la ville, un véritable raz de marée s'opère et des familles entières se déplacent d'un bout à l'autre de la cité, soit pour rendre visite à des proches, ou tout simplement pour changer d'atmosphère.
Les fourgons de transport public, disponibles en grand nombre, ont réussi à mettre fin au problème de locomotion à Béjaïa et depuis l'instauration de la nouvelle ligne du Boulevard Amirouche, le centre-ville ne désemplit plus au grand bonheur des citoyens qui peuvent désormais se permettre de veiller et de rentrer directement chez eux. Plus loin, du côté de la plaine et de la Nouvelle-ville, c'est un autre spectacle qui vous accueille. La foire d'Ihaddaden attire une foule de curieux et de parents à l'affût d'un effet vestimentaire accessible à leur bourse. Certes, le luxe ici est à écarter. Faute de grives...Nous avons constaté aussi une certaine ruée vers la friperie, et ce, pour pouvoir faire plaisir à ses enfants, tous les moyens sont bons. «Nous sommes obligés de passer par là, nous précise une mère de famille, je viens d'acheter deux robes pour mes filles et un pull en laine pour mon dernier, ce n'est pas du neuf, je vais les laver et les repasser, c'est tout comme et mes enfants auront de quoi s'habiller le jour de l'Aïd, et encore il va falloir que je pense aux gâteaux...»
Parlant de gâteaux, ces derniers ne semblent plus être uniquement l'apanage des femmes, les hommes sont obligés de se mettre de la partie et le calcul de cette autre dépense doit se faire à deux. Le coût d'un kilo d'amande 650 DA à lui seul, décourage les plus hardis, plusieurs ménages d'ailleurs s'abstiennent d'utiliser les amandes dans la préparation de leurs gâteaux, cacahuètes, noix de coco...remplacent cet ingrédient de base. «Bien que le goût ne soit pas le même qu'avec les amandes ou les noix, nos gâteaux sont quand même bons, il faut savoir compenser», nous dira Meriem. Le pouvoir d'achat de plus en plus décadent, ne permet plus aux familles de préparer l'Aïd comme il se doit, finis les grands préparatifs pour cette journée qui avait une place de choix dans les budgets.
Aujourd'hui, les ménagères sont obligées de réduire les dépenses, ce qui sous-entend de préparer moins de gâteaux et de mets. «Dans le temps, quand l'Aïd avait toute sa signification, nous préparions de bons gâteaux traditionnels», nous dira une vieille dame, «C'était l'époque où les prix des ingrédients étaient accessibles à nos bourses, aujourd'hui, le beurre et les amandes sont, à eux seuls, hors de prix». Tant pis donc pour les gâteaux traditionnels, la plupart des ménagères se rabattront sur les makroutes et autres gâteaux secs, pour ne pas faillir à la tradition et surtout ne pas fêter l'Aïd dans l'indifférence. Malgré tout, nos supérettes sont prises d'assaut et les achats vont bon train, l'Aïd ou pas, les couffins se remplissent et les poches se vident.
La nuit s'étire, les rues sont désertes, quelques jeunes esquissent des pas de danse en suivant le rythme d'une chanson raï. Nous nous dégageons difficilement de cette aire de stationnement encombrée de véhicules, tous matricules confondus, le froid de cette nuit a poussé certains commerçants à plier bagages plus tôt que d'habitude, il n'empêche que les cafés et les grandes surfaces sont toujours ouverts.
Nous remontons vers le Vieux Bougie, un tour classique pour humer les odeurs des vieux quartiers, la radio diffusait un morceau de Hadj M'hamed El Anka, ce qui nous rappellera tout d'un coup l'anniversaire de son décès, un hommage particulier lui a d'ailleurs était rendu par la chaîne locale.


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