La ville est gagnée par la frénésie des achats. Le ramadan tire à sa fin et l'odeur de la h'rira, qui enivrait, est chassée par les senteurs d'amande et de vanille qui remplissent les gâteaux que des doigts de fée ont commencé à préparer en prévision de la fête de l'Aïd. La ville est gagnée par la frénésie des achats. Entre deux couffins ramenés pour préparer la cuisine du jour, les ménagères font des incursions dans les rayons pâtisseries des supérettes ou partent à l'assaut des marchés pour acheter qui un pantalon, qui une robe ou des chaussures pour les enfants. Les magasins du Derb, spécialisés dans la vente d'amandes, de cacahuètes, de noix de coco et de produits pour la pâtisserie, réalisent, ces derniers jours, des records de vente. Tous les stocks sont épuisés. Il y en a pour toutes les bourses et pour toutes les couches sociales. Il suffit seulement de demander pour voir toute la gamme de produits sous nos yeux. Même les magasins d'alimentation font, ces jours-ci, leurs meilleures ventes. Ils ont mis bien en évidence sur leurs présentoirs les produits et les ingrédients de pâtisserie. Oran sent bon la vanille ces derniers jours de ramadan. Les magasins de vêtements sont envahis. Ceux qui s'approvisionnent de Zouiya par containers, ceux qui utilisent les services des soldats du trabendo qui écument les marchés de Turquie, d'Alicante ou de Syrie, tous ont fait le plein de stocks pour réaliser les meilleures affaires. Il faut dire que la crise sociale aidant, plusieurs arrivent difficilement à garder ouverts leurs magasins. Mais la nouveauté pour cette année réside dans l'intrusion de produits importés de Chine. Les vitrines qui les proposent sont assaillies. Ils ont la cote cette année, car ils ont des atouts qui poussent les responsables des familles à les préférer à la production locale ou aux produits importés d'Europe ou des autres pays. Nombreux vous diront qu'ils ne sont pas chers et qu'ils n'ont rien à envier aux produits au label connu. La Chine, qui n'avait pas réussi du temps de sa révolution culturelle à nous imposer son col Mao, est, cette année, en train de conquérir les coeurs des ménagères et des mères de famille. Autres temps, autres moeurs. Durant les années 60, la parka du Che avait supplanté le col Mao, mais pour 2002, on s'habille chinois sans gêne et sans avoir peur d'être taxé de rouge. Même les magasins spécialisés dans la friperie connaissent le rush. Tout le monde s'improvise spécialiste en vêtements de prêt-à-porter. Après les heures de bureau, on prend son cabas ramené au prix de mille et une ruses pour aller squatter un trottoir de M'dina Jdida et vendre. Vendre est la devise par les temps qui courent. Ceux qui s'étaient spécialisés dans la vente de zlabia et de chamia ont entamé leur mue. Ils vont troquer leurs plateaux de pâtisseries contre des cabas et des cartons pleins de vêtements. Les rues d'Oran ne désemplissent pas du matin au soir. Elles se vident juste le temps de rompre le jeûne, se remplir le ventre, avant de repartir à l'assaut des vitrines pour contenter les enfants et leur permettre, le jour de l'Aïd, de sortir tout habillé de neuf. C'est cela Oran qui s'extirpe de la torpeur pour se plonger dans la ferveur de l'Aïd.