Pour une catégorie privilégiée, la rémunération ne tient pas compte du résultat, voire de l'efficacité. En plein mois de Ramadhan, l'Etat a décidé d'une augmentation des salaires des députés de 300%. Cette hausse a créé un malaise au sein de la masse des fonctionnaires. Le membre de l'APN ou du Sénat touche désormais un salaire de 30 millions de centimes, sans compter les primes et autres avantages, contre 13 millions de centimes auparavant, avec effet rétroactif à partir de janvier. Il recevra donc en sus un pactole de 240 millions de centimes. La décision crée ainsi de grandes disparités dans le système de rémunérations. Un professeur d'université avec 36 ans d'expérience, c'est-à-dire en fin de carrière, touche entre 8 et 10 millions de centimes, soit trois fois moins. Ses pairs au Maroc et en Tunisie touchent trois fois plus. Un maître-assistant avec 10 ans d'expérience touche en moyenne 4,2 millions de centimes, soit sept fois moins. Si le point indiciaire a été maintenu à 45 dinars, il a été gonflé à 15 000 pour le membre du Parlement, contre 1 400 à 1 600 points pour le professeur d'université qui est au sommet de la pyramide des salaires. “Les commissions du Sénat et de l'APN ont négocié avec la Présidence cette augmentation dans le plus grand secret depuis février dernier”, confie un responsable syndical. La hausse du salaire des députés résulte donc d'un accord entre les hautes autorités du pays et les membres du Parlement “Cette augmentation des députés n'a aucun sens. On verse de très hauts salaires à des députés qui se tournent les pouces. Pourquoi ces députés n'ont pas demandé par exemple un débat sur la politique des salaires en Algérie”, ajoute la même source. Ils n'ont d'ailleurs à leur actif aucune proposition de loi, aucune ouverture d'enquête. En un mot, la fonction parlementaire en Algérie reste inefficace, surtout en matière de contrôle, en particulier de l'usage de l'argent public, en dépit de ces salaires très élevés. “Le grand scandale, ce sont les niveaux assez médiocres des salaires des chefs d'entreprise publique, environ 6 millions de centimes par mois”, souligne M. Mekidèche, vice-président du Conseil national économique et social et consultant international. “Alors que la fonction présente des risques au plan pénal. Ces chefs d'entreprise gèrent de lourds actifs, se chiffrant dans de nombreux cas en milliards de dinars. Le paradoxe est que l'Etat veut faire des entreprises telles que la SNVI et l'Enie des noyaux à partir desquels les pouvoirs publics s'appuieront pour relancer la machine économique”, ajoute-t-il. Le salaire d'un député est devenu presque équivalent au salaire du P-DG de Sonatrach qui gère quasiment la rente du pays via un potentiel de production d'hydrocarbures susceptible de générer des entrées en devises de l'ordre de 80 milliards de dollars. Les salaires de la branche énergie sont d'ailleurs déconnectés de ceux du secteur public industriel, voire ceux de la Fonction publique. Un vice-président à Sonatrach dépasse les 20 millions de centimes par mois. Le P-DG de Sonelgaz touche presque autant que le patron de la compagnie pétrolière nationale. L'Algérie n'a pas encore une politique des salaires, suggère le même consultant. “Les rémunérations de la Fonction publiques sont décidées en concertation avec le syndicat. Il n'y a pas en Algérie de système aujourd'hui qui évalue les performances de l'administration, en raison du caractère du travail du fonctionnaire difficilement quantifiable. Les augmentations de salaires dans la fonction ne sont pas liées au résultat, à la productivité. Le système des salaires dans la Fonction publique n'est pas fondé sur une véritable gestion des carrières. On a un système de salaire atypique où les décisions relèvent du champ politique dans des cas (cas des députés), de la bureaucratie dans d'autres”. Le secteur des hydrocarbures, semble montrer la voie. Un nouveau système des salaires vient d'être appliqué à Sonatrach. Le salaire des responsables, P-DG et vice-présidents est lié à une obligation de résultat. Il doit réaliser les objectifs fixés en début d'année en termes de recettes, de production, ou de performance, sans quoi le niveau de son salaire diminue. Le nouveau système de rémunération à Sonatrach a prévu les augmentations de salaire les plus importantes pour ceux qui assurent le succès de la compagnie : les opérationnels, c'est-à-dire les explorateurs, les foreurs… Fuite de milliers de cadres vers le secteur privé étranger Par ailleurs, les modestes salaires dans le secteur public sont derrière la fuite de milliers de cadres vers le secteur privé étranger, confie un responsable. “Je touchais en tant qu'ingénieur 3 millions de centimes par mois dans une entreprise publique, je perçois trois fois plus dans une filiale d'une société française”, nous dit un jeune cadre Dans une banque étrangère installée à Alger, les cadres algériens touchent entre 10 et 18 millions de centimes par mois. Une partie de leurs salaires correspond à des primes liées au résultat. Ils reçoivent en plus deux mois de salaires en fin d'année. Ces salaires font rêver les jeunes cadres. Enfin, le coordinateur et porte-parole du Cnes, le syndicat indépendant des enseignants universitaires relève que les salaires des fonctionnaires ne sont pas liés à l'inflation. À quoi bon augmenter les salaires quand ils sont effacés par la hausse des prix en cours d'année ? En somme, le système des salaires en Algérie est lié à la rente. On ne demande en contrepartie du versement de hauts salaires aucune contrepartie en termes de rendement, de résultat ou de performance. Tant que le baril de pétrole dépasse les 80 dollars, l'Algérie peut se permettre ces dérives. Une telle politique conduit à la ruine du pays. Ces salaires de la rente ou de la honte menacent, en outre, la cohésion sociale et démobilisent les travailleurs. K. R.