Ils sont plus d'une centaine d'étudiants algériens à poursuivre des études supérieures dans les universités irakiennes. Au-delà des tracasseries administratives, ils vivent dans l'angoisse d'un lendemain incertain. Comment feront-ils si les Américains décident de frapper l'Irak ? De quelle protection peuvent-ils bénéficier ? Nos reporters les ont rencontrés à Bagdad. La seule question qui taraude l'esprit de Nassim, étudiant algérien, est : “Que faire pour se protéger en cas d'attaque américaine contre l'Irak ?” “Je n'en ai aucune idée. Si jamais demain les Américains bombardent Bagdad, je ne sais pas où aller. Tu peux demander toi à l'ambassade algérienne de nous donner plus de précisions sur un éventuel dispositif d'évacuation ?”, demande-t-il. Khaled, lui, a pu rencontrer l'ambassadeur d'Algérie en Irak. Pour réponse, l'officiel algérien a eu cette laconique phrase : “Ne vous inquiétez pas, nous avons pris toutes les mesures.” Quelles sont donc ces mesures ? Réponse de l'ambassadeur : “Je ne peux pas vous le dire, c'est top secret.” À l'instar de Nassim et Khaled, ils sont plus d'une centaine d'étudiants algériens à s'inquiéter de leur situation dans un pays menacé de guerre par les Etats-Unis. Khaled ne trouve pas de mot pour qualifier l'attitude des officiels accrédités en Irak. “Tu t'imagines, j'ai entendu dire que des membres de l'ambassade ont déjà commencé à évacuer leurs familles en dehors du territoire irakien pour les mettre à l'abri ! Et nous, nous sommes livrés à nous-mêmes”, s'exclame-t-il. Etudiants majors de promo Nassim est installé à Bagdad depuis octobre 2000. Major de promotion en musicologie à l'Ecole nationale supérieure de Kouba, il décroche une bourse d'Etat pour une post-graduation à l'étranger. Alors qu'il s'attendait à partir en France, Nassim se voit proposer pour seule destination : l'Irak, dans le cadre de la coopération entre les deux pays. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il accepte. Son sujet de recherche ne manque pas d'originalité dans un pays dont l'histoire n'a pas souvenance d'avoir été une destination particulièrement prisée par les Berbères, hormis les quelques rescapés de l'insurrection de 1871. Nassim étudie les chants kabyles en Irak ! Avec lui, d'autres étudiants sont venus former une communauté quelque peu insolite à Bagdad. Passé le premier choc de découvrir un pays soumis aux rigueurs de l'embargo, commencent les difficultés. D'abord se loger. Un vrai parcours du combattant. “Les Irakiens se méfient des étrangers”, affirme Nassim. Après maintes tentatives, un Bagdadi accepte de louer une maison à lui et à deux de ses amis. Prix : 100 dollars par mois. D'autres étudiants doivent débourser le double pour acquérir un toit. Deuxième exigence : payer à l'avance la totalité de la location pour une période d'une année, soit 1 200 dollars. Une fortune que ces étudiants ne peuvent réunir sans prendre le risque de rogner sur leurs économies, déjà sérieusement grevées par les frais de nourriture, transport et scolarité. “Heureusement que nous avions ramené des dollars d'Algérie, nous ne pouvions pas compter uniquement sur notre bourse”, affirme Younès, étudiant en archéologie. “La bourse !”, prononcer ce mot suscite des railleries. Le contrat de coopération algéro-irakienne prévoit l'octroi d'une bourse de 279 dollars par mois, payée par la partie algérienne. Les Irakiens doivent verser, de leur côté, 250 dinars mensuellement. Avant la dévaluation de la monnaie locale, qui valait en 1990 plus de trois dollars, l'équivalent irakien complétait l'apport algérien. Aujourd'hui, les autorités irakiennes continuent à verser les 250 dinars, mais cette somme ne vaut presque plus rien. “Avec 250 dinars, tu n'as même pas droit à une canette de Pepsi”, affirme Nassim. Depuis la signature du contrat de coopération, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts reconstruits de Bagdad, et les deux capitales n'ont pas jugé utile de reconsidérer les termes de la convention. Résultat : les étudiants doivent serrer la ceinture pour ne pas devoir se retrouver sans le sou. Les responsables algériens et irakiens sont accusés de ne pas respecter le contrat. “Nous sommes obligés de subvenir nous-mêmes aux frais de transport alors que, normalement, tout est pris en charge d'Alger jusqu'à Bagdad. “Or, affirme Younès, une fois arrivés en Jordanie, ils doivent louer un taxi pour plus de 100 dollars. Si ça ne tenait qu'à cela !” Les étudiants ne bénéficient pas de contrat d'assurance. Hospitalisé pour une opération d'appendicite, un étudiant a séjourné plus de trois mois à l'hôpital. Coût de l'opération : 300 dollars payés de sa poche ! “Lorsque nous nous sommes renseignés auprès des services de l'ambassade, ils répondent ne pas être au courant”, certifie Younès. Les frais d'hospitalisation ne sont pas remboursables en Irak. “Il faut aller en Algérie pour se faire rembourser. Mais même là-bas, on n'est pas sûr d'avoir gain de cause.” La bureaucratie a encore de beaux jours devant elle au sein de l'administration algérienne. “En cas d'attaque, nous vous aviserons” En dépit de toutes ces tracasseries, les étudiants algériens forcent l'admiration de leurs collègues irakiens. Deux années d'affilée, Nassim et Younès ont terminé majors de promotion à la faculté de Bagdad. “Je termine ma soutenance et je me sauve d'ici”, déclare Nassim. Malheureusement, il pourrait partir bien avant, en cas d'attaque américaine. Même si la perspective semble s'éloigner quelque peu, au vu de l'attitude moins belliqueuse de l'Administration Bush, la guerre contre Saddam est la première des préoccupations de la communauté algérienne à Bagdad. Quelles dispositions a prises l'ambassade ? “Quand ils vont frapper, nous vous aviserons”, a ainsi répondu un diplomate à un étudiant. “Comment ferons-nous ? Où aller si les Américains bombardent ?”, se demande Younès. Selon la réglementation en vigueur, l'étudiant algérien ne peut quitter définitivement le territoire irakien qu'une fois le diplôme acquis. “Si la guerre éclate, quel service administratif sera en mesure de nous délivrer ce précieux document ?” En outre, dans une période de paix, il faut attendre un mois pour obtenir tous les documents nécessaires pour franchir les frontières. Alors, que dire en état de guerre ? Quitter Bagdad pour Amman nécessite 15 heures de route en temps normal, quid pendant la guerre ? Les étudiants craignent de se retrouver otages d'un conflit destructeur. “Toutes les chancelleries étrangères ont pris leurs dispositions, sauf la nôtre”, fulmine Khaled. Lors du référendum du 15 octobre, les services de l'ambassade algérienne en Irak n'ont pas jugé opportun d'inviter la vingtaine de journalistes algériens présents à Bagdad pour couvrir l'évènement. Ne serait-ce que pour un briefing sur le pays de Saddam. Contrairement aux autres ambassades. Allez savoir à quoi servent nos représentations à l'étranger ! “Les seuls contacts que nous avons avec l'ambassadeur se résument aux cérémonies officielles”, affirme Nassim. Le 1er novembre prochain, lui et ses amis pourront poser la question suivante à l'ambassadeur : “Que ferons-nous si les Américains attaquent l'Irak ?” S'ils sont invités à la réception de Monsieur l'ambassadeur, bien sûr. F. A.