En distinguant, hier matin, Amara Lakhous, les libraires algériens réunis sous la bannière d'Aslia, ont clos une longue saison des prix littéraires. L'excellent Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio est en effet la dixième œuvre récompensée en 2008. Quelques jours auparavant, c'était Maïssa Bey, Waciny Laâredj et le quatuor Oubagha-Khouchi-Ammari-Baha qui étaient honorés par le prix Sila 2008 du roman, pour Pierre, sang, papier ou cendre (Editions Barzakh) et Crématorium (Editions Baghdadi) et Tacemlit. Kamel Daoud, talentueux journaliste, fut, en mai dernier, le troisième lauréat du prix Mohammed Dib, créé par la fondation du même nom et présidé par Mme Nadjet Khada. Quelques mois plus tôt, en février, Ahmed Khiat, pour Moughamarat El Makar, Tahar Ould Amar, pour son livre en tamazight Bururu (le hibou) et Mohamed Attaf pour L'arbre de la chance recevaient le second prix Apulée, décerné par le directeur de la Bibliothèque nationale. Enfin, en janvier dernier, toujours à la Bibliothèque nationale, Abir Chahrazade et Kamel Kerour recevaient le quatrième prix Malek-Haddad, fondé en 2001 par la romancière Ahlam Mostghanemi, l'ONDA et la maison El-Ikhtilef. Si l'on peut se féliciter du nombre croissant de récompenses et par conséquent d'écrivains distingués, tous ces prix ne se valent pas. Tout d'abord parce qu'ils ne consacrent pas la même chose. Le jury du Sila par exemple doit, selon les termes employés par M. Boucenna, patron du Salon, récompenser des œuvres “écrites (en arabe, en français, et en tamazight) par des auteurs algériens et édités en Algérie, entre deux éditions du Salon”. Le prix Aslia est un prix de libraires, sans vrai jury mais très lié aux ventes en détail et donc théoriquement plus proche du public. La fondation Dib (francophone) comme le jury Malek-Haddad (arabophone) ouvrent leurs listes à des manuscrits non édités, des recueils de nouvelles pour la première, des romans pour le second. Tous ces prix, ensuite, ne sont pas pareillement dotés. Kamel Kerour et Abir Chahrazade se sont partagés 15 000 $, soit un peu plus d'un million de DA (l'année prochaine ce sera 500 000 DA), alors que Amara Lakhous, Ahmed Khiat, Tahar Ould Ammar et Mohamed Attaf ne repartiront qu'avec 100 000 DA. Entre ces extrêmes, chacun des lauréats du prix Sila recevra 400 000 DA. Et au sommet de cette pyramide, trône Kamel Daoud, publié depuis chez Barzakh, qui reçoit seul le million de DA associé au prix Mohammed-Dib. Enfin, et surtout, toutes ces distinctions n'ont pas le même “caractère”. Un simple coup d'œil à leur histoire suffit. Avant Amara Lakhous, jeune auteur algérien installé en Italie (lire l'entretien ci-dessus), le prix Aslia a récompensé Yasmina Khadra, Djamel Amrani (à titre posthume), Maïssa Bey (récompensée cette année par le Sila), Waciny Laâredj (récompensé cette année par le Sila) et… Rachid Boudjedra ! Que des auteurs connus et déjà reconnus. La fondation Mohammed-Dib a choisi elle d'exposer depuis 2003 Habib Ayyoub, Hamid Ali Bouacida et Kamel Daoud, et des textes de qualité. Et les prix Haddad et Apulée, avec leur deux éditions chacune, ont été moins consensuels. Il n'est pas question ici de dénigrer des jurys ou des prix, mais d'établir un classement nécessaire. C'est là la voie naturelle empruntée dans le monde – un Fémina ne vaut pas un Goncourt en France, le Man Booker prize reste la distinction la plus courue en Grande-Bretagne. Et s'il faut placer un prix au-dessus des autres, avouons notre préférence pour le Dib. Avec son parrain prestigieux, son jury de haute volée, la hauteur de sa dotation et sa volonté de récompenser des auteurs méconnus, ce prix, décerné tous les deux ans, vaut aussi parce qu'il anticipe l'avenir. En s'intéressant aux nouvelles, étape importante pour les jeunes auteurs avant le grand saut dans le roman, en acceptant des manuscrits non édités, le Dib est assurément le prix dont la jeune littérature algérienne a le plus besoin. Rachid Alik