Le juge a des pouvoirs exorbitants. “Il est le gardien des libertés de l'individu et des biens des citoyens. Il a aussi des pouvoirs que le président de la République ne détient pas. Il peut mettre une personne en prison par sa seule décision.” C'est là le profil du magistrat et des pouvoirs qu'il détient, que dresse un membre de cette corporation ayant vingt-cinq ans d'expérience de profession. “Le magistrat, c'est le pilier de l'Etat”, décrit-il encore tout en expliquant que “si la justice est médiocre, c'est l'Etat en entier qui s'effondre”. “Si tout est ruiné dans un pays et que la seule justice demeure debout, l'Etat demeure de fait debout”, explique-t-il. Mais les magistrats prononcent-ils de bons jugements ? Rendent-ils réellement justice aux citoyens ? Font-ils des erreurs dans leurs verdicts ? Pour répondre à ces questions, il est utile de comprendre la manière avec laquelle les magistrats travaillent. Il faut dire à ce sujet qu'ils arrivent souvent en audience surchargés de dossiers : “Un magistrat algérien quand il arrive à la salle d'audience, il a les mains surchargés de dossiers. Il vient avec 200 à 300 dossiers dans les bras”, se plaint l'un d'entre eux qui cumule vingt ans d'expérience. “Ce n'est pas normal qu'un juge arrive en audience avec autant de dossiers”, explique-t-il. “Le phénomène ne s'est vu dans aucun pays dans le monde. L'Algérie fait exception à la règle en la matière”, dit-il. Le magistrat qui est censé, comme le reste des fonctionnaires, travailler huit heures par jour se retrouve parfois à faire le double, soit seize heures : “Les audiences commencent à 9h et se terminent vers minuit, une heure, voire deux heures”, nous relève un autre magistrat rencontré au tribunal d'Alger. Ce dernier s'interroge sur la légalité de cette démarche : “Est-ce que c'est légal de travailler autant d'heures ?” Et de répondre lui-même : “Il s'agit d'une violation flagrante de la législation du travail.” Pour notre interlocuteur, “ce sont des conditions inhumaines de travail”. Et pour cause, le magistrat “ne peut pas se concentrer sur ce qu'il fait puisqu'il travail sans répit, sans repos, sans conditions normales”. Il ne mène pas les enquêtes et les investigations qu'il faut, ce qui est souvent, selon notre interlocuteur, à l'origine de “jugements expéditifs”. Une telle situation a des incidences négatives sur les “les droits de la défense qui sont bafoués” en ce sens que l'avocat n'a pas le temps de défendre son client, puisqu'il ne lui est permis de dire que “deux seuls mots”. Il s'agit en définitive, selon notre interlocuteur, “d'une justice de statistique, mais pas de qualité”. Une justice de statique sous-entend une justice où l'on comptabilise seulement le nombre des dossiers traités mais sans pour autant être regardants sur la qualité des jugements prononcés. La faute est-elle imputable aux magistrats ? “Non !” tranche net notre interlocuteur. “Les magistrats sont obligés de travailler conformément aux conditions qu'on leur offre, de même qu'ils sont obligés de traiter les dossiers rapidement.” Cette situation, ajoutent des sources proches des magistrats, est née de la mise en application d'une instruction entérinée par le ministère de la Justice, le 27 octobre 2003. Cette instruction institue le renvoie des affaires. On ne peut reporter, en effet, une affaire plus de cinq fois et chaque report ne doit excéder 15 jours. Ceci concernant une affaire civile. S'agissant des affaires pénales, celles-ci ne peuvent être renvoyées plus de trois fois. Cette instruction qui fait obligation aux magistrats de traiter les dossiers a été introduite tout de suite après le passage de l'affaire de l'invalidation du huitième congrès du Front de libération nationale (FLN), chapeauté à l'époque par l'ancien chef de gouvernement Ali Benflis, par la chambre administrative d'Alger. N. M. B. Lire tout le dossier en cliquant ici