Criss Niangouna a commencé à faire du théâtre dans son pays d'origine, au Congo, à la fin des années 1980. Cette passion pour le quatrième art le mènera à Paris où il évolue actuellement et poursuit une carrière professionnelle. Le comédien qui incarne “Moussa” dans En remontant le Niger, raconte dans cet entretien son personnage ambivalent et énigmatique. Liberté : Vous incarnez dans la pièce En remontant le Niger, le rôle de Moussa qui est un personnage à la fois attachant et monstrueux... Criss Niangouna : Moussa est en fait un personnage que je nommerai personnellement “Regard”, parce que c'est une pièce monstrueuse, et tous les personnages qui la constituent sont “des monstres”. Je dirai qu'Arezki Mellal a mis dans ses personnages la part de monstruosité qu'on peut trouver en chacun de nous. Mais la particularité de Moussa, c'est qu'il se met entre l'Occident et l'Afrique en apportant un certain regard. Comment avez-vous appréhendé votre rôle ? De façon un peu ramassée. Je dirai que lorsque j'ai lu ce texte pour la première fois, je me suis dit “Ouh la !” parce que c'est un grand “ramassis” de thèmes… Arezki Mellal traite de tout ce qu'on peut avoir comme rapports humains. C'est un pont entre l'Occident et l'Afrique mais aussi quand on essaie de pousser la réflexion un peu plus loin, la pièce traite des rapports que peuvent avoir les Africains entre eux. Pour moi, cette pièce est un cri… C'est un cri à l'espoir. Une manière de nous poser des questions et de nous dire qu'on peut faire mieux. En remontant le Niger est le cri du nouveau-né. L'auteur veut nous dire arrêtons tout simplement. Arrêtons ! On peut faire mieux et que ça ne sert à rien aux Occidentaux de regarder l'Afrique d'en bas, ou que les Africains regardent les Occidentaux d'en haut. Posons-nous de vrais regards. Arezki veut dire de façon un peu ramassée et par tout ce qui lui a semblé de dire, que ce qui nous manque le plus, c'est l'amour. Il parle de religion, il parle de rapports entre hommes africains et femmes blanches. Justement, que pensez-vous de ces rapports-là ? Il faut le reconnaître, les Occidentales ont souvent un regard “réducteur”, du genre : “Je vais en Afrique et je peux sortir facilement avec le mec que je veux parce que je suis une Blanche.” Mais aussi, dans l'autre sens, il faut aussi souligner qu'il arrive que les Africains cherchent à sortir avec une Blanche parce que c'est un fantasme tout simplement. Tout ce qui nous manque c'est l'amour. Le personnage de Moussa est très lucide. Il est comme un pont entre les deux cultures, et en même temps, il donne des leçons… Moussa est le personnage le plus lucide de la pièce et effectivement, il est entre les deux. Mais malgré cette lucidité-là, Moussa a aussi sa part de monstruosité, ce qui accélère et produit l'éclatement de la fin de la pièce. Je ne dirai pas qu'il a provoqué la fin, mais il a voulu faire comprendre que l'Afrique n'est pas peuplée par des imbéciles incultes. Et c'est vraiment des leçons pleines d'ironie et d'hypocrisie que Moussa donne à Isabelle (le personnage de la femme blanche), et c'est là où réside la monstruosité du personnage. Moussa provoque les questions d'Isabelle et en même temps, il reste observateur et s'amuse. Moussa comprend très bien qu'Isabelle est une Occidentale, que les Occidentaux ne pigent pas grand-chose à notre société… qu'ils cherchent de l'exotisme. Votre personnage suscite aussi les questions… Moussa suscite les questions de la façon la plus basique, en faisant le bête, mais à tout moment, il met au pied du mur les Occidentaux pour leur dire que ce n'est pas ça l'important, ce n'est pas le vrai relationnel. On peut avoir de la coopération à armes égales. On peut s'aimer plus, que tout ce qui nous manque c'est l'amour. Nous ne demandons que ça. Ce que nous voulons : soyez avec nous dans des rapports francs et sincères. Comment trouvez-vous l'Algérie et que connaissez-vous du théâtre algérien ? C'est ma première visite en Algérie. Je trouve que c'est une super belle ville. Mais ce que je déplore, dans les tournées telles qu'elles sont organisées, c'est qu'on n'a pas le temps d'aller vers les gens. Il y a plein de choses à découvrir. J'aurais bien aimé rencontrer des comédiens, des gens du théâtre, discuter avec eux sur ce qu'on fait. Echanger ! Il y a des textes algériens que j'ai lus et que j'aime bien comme La Répétition de M'hamed Benguettaf. C'est un texte que j'emmène partout et je l'ai même avec moi. Je n'arrête pas de lire ce texte parce que j'aimerais bien faire quelque chose autour. S. K.