Alger exprime sa colère, par le biais de son ministre délégué chargé des Affaires africaines et maghrébines, devant l'impuissance complaisante de certains pays africains, mais aussi et surtout l'encouragement par le truchement de paiement des rançons par certains pays européens aux groupes terroristes. Intervenant à l'ouverture des travaux du séminaire sur la lutte contre le financement du terrorisme en Afrique du Nord et en Afrique de l'Ouest, Abdelkader Messahel n'y est pas allé par quatre chemins pour fustiger les attitudes, africaines et européennes, qui continuent à encourager les groupes terroristes à faire du continent africain leur terrain de prédilection. “Il est à déplorer l'impuissance incompréhensible de certains Etats de la région devant certains trafics à leurs frontières comme le trafic de drogue et des substances nocives, alors que l'argent de la drogue finit toujours dans des circuits obscurs et sert le plus souvent, après blanchiment, au financement d'activités terroristes. Nous pensons que la coopération et la solidarité régionales pourraient, largement, combler cette incapacité “discutable”. Un autre phénomène prend, malheureusement, de l'ampleur et tend à saper les efforts déployés par certains pays pour tarir les sources d'accès des groupes terroristes au financement de leurs activités. Il s'agit du paiement de rançons réclamées par ces groupes à la suite de prises d'otages. Une telle démission devant les pressions des groupes terroristes s'inscrit en violation flagrante des conventions et protocoles internationaux relatifs à la lutte contre le terrorisme (…) C'est pourquoi en reculant devant la pression, en cédant au chantage et en accédant aux revendications des preneurs d'otages, on ne fait qu'encourager les organisations terroristes à persévérer dans leurs activités criminelles. Devant de telles situations, la fermeté et la détermination doivent être sans faille, si l'on veut donner ses chances de réussite à la lutte contre le financement du terrorisme dans notre région en particulier.” Abdelkader Messahel reconnaît que la tâche des pays africains n'est pas de tout repos : “La lutte contre le financement du terrorisme et contre le blanchiment d'argent est rendue davantage plus ardue par la porosité des frontières qui n'est, d'ailleurs, pas spécifique aux pays de l'Afrique du Nord et de l'Afrique de l'Ouest, mais qui constitue un véritable défi pour la région sahélo-saharienne connue par la rigueur de son climat et son relief difficile, et par l'incapacité de ses Etats, aux moyens rudimentaires, à assurer à leurs vastes frontières l'imperméabilité requise pour empêcher les trafics de tous genres et assurer le contrôle rigoureux de la circulation des biens et des personnes.” “Cette situation est davantage compliquée par la procédure de conclusion des transactions financières entre partenaires à l'intérieur des frontières d'un même Etat, comme dans les échanges transfrontaliers où le circuit informel est, généralement, privilégié par rapport au circuit bancaire et au chèque, abandonnés au profit des paiements en espèces”, ajoute-t-il. C'est pourquoi il estime nécessaire l'engagement de la communauté internationale, notamment les organismes des Nations unies, les institutions de Bretton Woods, l'Office de lutte contre la drogue et Interpol, en vue d'aider les pays de la région afin de se doter d'instruments juridiques et des structures leur permettant de lutter efficacement contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cet effort de la communauté internationale devrait concerner la formation en matière de justice pénale et l'assistance technique, notamment en matière de création ou de développement de banques de données en matière de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Devant l'ambassadeur des Etats-Unis à Alger, qui affirmait avoir découvert le terrorisme en survolant Manhattan au moment où l'une des tours du World Trade Center prenait feu, Abdelkader Messahel a rappelé que “bien avant que les événements douloureux du 11 septembre 2001 ne viennent réveiller brutalement de sa torpeur une communauté internationale complaisante, l'Algérie a subi dans sa chair les affres du terrorisme, les a affrontés seule avec détermination et des moyens limités”. Cela dit, les Etats-Unis, à travers leur ambassadeur à Alger, David Pearce, entendent s'investir pleinement dans la lutte contre le financement du terrorisme en Afrique. Pour le diplomate américain, “combattre le terrorisme ne peut pas se faire par les militaires seuls”. Il estime que la lutte contre le financement du terrorisme fait partie intégrante, et parfois déterminante, dans la lutte globale contre ce phénomène, sans omettre d'affirmer que le développement économique du continent reste indispensable pour dissuader les jeunes dont la misère et le mal-vivre sont exploités par les groupes terroristes. David Pearce reconnaît que les groupes terroristes exploitent les lacunes des systèmes financier et juridique. Dans un marché libre et ouvert, des failles existent et sont souvent exploités par les groupes terroristes. C'est pourquoi l'administration américaine a mis en place tout un arsenal pour détecter les transactions douteuses et neutraliser ainsi les sources de financement du terrorisme. Depuis le 11 septembre 2001, quelque 140 millions de dollars appartenant à des groupes liés à Al-Qaïda ont été gelés par l'administration américaine, selon le diplomate. Pour sa part, le directeur du Centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme (CAERT), Boubacar Gaoussou Diarra, reconnaît que des progrès ont été accomplis par le continent africain, en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Boubacar Diarra estime que “la globalisation du commerce, la déréglementation, l'accès facile à Internet constituent, certes, des opportunités, mais ils ont aussi leurs revers : le continent qui s'ouvre aux capitaux privés devient une cible non seulement pour le blanchiment d'argent mais aussi pour le financement du terrorisme. La prédominance de l'argent liquide dans les transactions financières de nos jeunes économies, la prévalence des circuits informels constituent en particulier un risque dont il importe de prendre la juste mesure. Parce que nos pays ont de gros besoins en investissements, la tentation facile est d'injecter dans nos circuits économiques et financiers beaucoup d'argent dont on ne connaît pas trop souvent l'origine”. Il y a lieu de rappeler que le séminaire, dont les travaux se tiennent à huis clos, devrait durer cinq jours au cours desquels des experts juridiques, financiers et dans la lutte antiterroriste devraient coordonner leurs efforts et partager leurs connaissances en vue de lutter au mieux contre le financement du terrorisme. Azzeddine Bensouiah