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“Nous avons droit à la comédie !”
Lyes Salem, auteur-réalisateur et interprète de Mascarades à Liberté
Publié dans Liberté le 11 - 12 - 2008

Le jeune cinéaste, il n'a que trente-cinq ans, évoque dans cet en-tretien son rapport particulier avec le cinéma, l'écriture et la comédie. Et à l'Algérie, aussi, qui nourrit une comédie très réussie, interrogeant autant la société algérienne qu'elle ne montre son amour pour elle. “Les Algériens sont des gens bien”, affirme Mascarades.
Liberté : Mascarades est sorti hier dans les salles françaises, dans une ambiance critique très favorable. Avant cela et avant les nombreux prix récoltés de Namur au Caire, il était projeté dans dix salles en Algérie durant le Ramadhan dernier, et a reçu un accueil très chaleureux. Qu'est-que cela vous a fait ?
Lyes Salem : J'en été très heureux. C'est vraiment un film que j'ai pensé et fait pour ce public-là, et donc, je suis très heureux de sentir que les Algériens qui l'ont vu s'y sont retrouvés. C'est vraiment ce qui m'a fait le plus plaisir : des gens très différents sont venus me voir et m'ont dit : “On s'est reconnu dans tel ou tel personnage, telle ou telle situation, ou gag.” J'ai senti qu'ils avaient compris ce que je voulais faire, dans quelle perspective j'avais travaillé. Et c'est très agréable de se sentir compris. Et pas seulement dans l'humour, ils ont bien entendu les questions posées à la société algérienne, et les autres, celles qui interrogent le monde global d'aujourd'hui. Parce que dans Mascarades, il y a des thèmes qui touchent spécifiquement la société algérienne, mais il y a aussi des choses qui intéressent la vie contemporaine occidentale. En ce moment, je vis en France, et il y a des choses qui parlent aussi à cette société-là.
Vous avez tourné à M'chounèche, un village des Aurès. Avez-vous choisi ce village, par hasard ?
Parfaitement. J'ai découvert ce village par hasard. La seule chose que je savais c'est que je voulais tourner dans un décor qui rappelle un peu les westerns de Sergio Leone. Un décor aride, qui serait un bon arrière-plan pour le caractère des personnages, la “redjla” et tout cela.
Les habitants qui ont largement participé à votre film ont-ils vu Mascarades ?
Absolument. C'est même un des premiers lieux où j'ai montré le film. On a fait une projection en plein air. Et je peux vous dire que tout le village était là.
Comment ont-ils réagi ?
Ils l'ont vu une fois. Et je crois qu'il aurait allu une deuxième projection. Parce que, lors de la première vision, comme pour les acteurs ou l'équipe technique d'un film, eh bien, on essaie d'abord de se voir, de se retrouver pour les figurants, etc. On ne regarde pas vraiment l'histoire. Le décor du film, c'était leur village, c'est normal. Mais, globalement, ça s'est très bien passé. ça a beaucoup ri, beaucoup réagi sur certaines scènes. Notamment celle ou Habiba dit à Mounir : “Ce soir, tu dors au salon !” À côté de moi, il y avait un des villageois qui s'est exclamé, interloqué : “Kifah ?” (Rires) Dans l'ensemble, les réactions, d'accord ou pas, ont été constructives. Je l'ai encore plus compris quand un des villageois, et vous savez à quel point les gens des Aurès sont réservés, est venu me demander, mais sans animosité aucune : “Dis-moi, ton film, il se moque de nous ou il se moque du système ?” Je lui ai répondu immédiatement : “Non, s'il y a une chose qui est sûre, c'est que ce film ne se moque pas des M'chounechiens. Il se moque peut-être de certaines choses que le système impose à l'individu.” Il a eu l'air d'être satisfait par ma réponse. Il était juste venu confirmer.
Vous avez non seulement tourné en Algérie, mais vous avez fait le choix de tourner exclusivement en arabe dialectal. C'est le genre de choix qui, s'il se rapproche du public algérien, coûte cher en termes de production ?
Oui. C'est quelque chose dont on a parlé très vite avec Isabelle Madeleine qui est la productrice déléguée française du film. Comme j'avais déjà fait avec elle, Cousines, un court métrage que j'ai tourné ici à Alger, en arabe, elle n'a pas vraiment été surprise. Elle a compris que comme l'histoire se déroulait dans un village, ça n'avait pas de sens de tourner en français. Elle m'a bien dit de voir s'il n'y avait pas une possibilité d'intégrer un personnage qui s'exprimerait en français dans le film, histoire qu'on puisse aller voir le CNC [institution française de cinéma], lui demander des sous… (Rires) Et pour dire les choses franchement, quand on a des contraintes, il faut faire avec, j'y ai pensé. Mais bon, rapidement, je me suis aperçu que cela ne se faisait pas avec cette histoire. Et Isabelle l'a très vite compris. On s'est vite mis d'accord sur le fait que le film serait en arabe dialectal, ni en arabe classique ni en français. C'est notre langue aux côtés de tamazight. Finalement, c'est un choix politique, et c'est dommage que c'en est encore un.
Les personnages féminins, incarnés notamment par Sara Reguieg et Rym Takoucht, sont particulièrement mis en avant et quasiment tous positifs. C'était important ?
Pour moi c'est important. ça me vient d'une chose très précise. Dans les années 1990, aux pires moments du terrorisme, au moment où l'Algérie a failli basculer, le combat des femmes, à Alger, dans la rue, où leurs livres et leur colère m'ont permis de garder espoir.
C'est vrai qu'avec Cousines et celui-là... Bon, je ne suis pas dans un discours du genre “la femme est l'avenir de l'Algérie”. Simplement, c'est peut-être ma façon de leur dire merci, pour leur résistance et m'avoir permis de raccrocher à leur combat.
Mohamed Bouchaïb explose en Khlifa, dans ce film. Quant à vous, vous incarnez Mounir, son ami, celui par lequel le scandale arrive, obsédé par le qu'en-dira-t-on. Un rôle facile ?
Tout d'abord, à propos de Mohamed, vous avez raison. Khlifa, c'est la rencontre d'un comédien qui a énormément de talent avec un personnage fait pour lui. En plus, il faut savoir que Mohamed a une qualité rare chez un acteur. La caméra l'aime. Dès qu'il est dans le champ, il irradie, la caméra l'aime et les spectateurs l'aiment. Bien sûr, il a fallu travailler, Mohamed n'était pas du tout sûr de lui dans les parties dramatiques de son rôle. Mais au final, il est parfait. Mounir, lui, c'est un autre personnage, construit à partir de plusieurs personnes ou caractères différents. Ce qui explique qu'il a beaucoup de travers des Algériens, mais aussi beaucoup de qualités des Algériens… C'est çe qui peut le rendre attachant. Mounir, c'est ce type qui se retrouve dans une partie de cartes qui est vitale pour lui, sauf que non seulement il n'a pas les bonnes cartes, mais en plus il ne maîtrise pas bien les règles du jeu. Donc pour ne pas dégager de la partie, il fait “zaâma je sais”. Il croit que c'est dans la façon de poser les cartes qu'il peut emporter le morceau. Mounir est perdu dans le regard des autres. Et à cause de cela, il se fait souffrir, et il fait souffrir ses proches, sa femme, empêche sa sœur et son ami, qui s'aiment, de s'unir. La seule force que Mounir n'a pas, c'est celle de s'écouter lui-même. Mounir veut, au début, être dans ce que la morale veut de lui. C'est peut-être la part de mes propres questionnements que j'ai déposée dans le rôle de Mounir. Et en même temps, il veut être reconnu.
Dans Mascarades, vous employez à la fois les codes établis par les classiques du genre (burlesque, usage du hors-champ), et ceux de la comédie à l'algérienne, ou plus largement méditerranéenne…
Ce que j'ai essayé de faire, ce que je voulais faire, c'est un film de genre fiction. Pas une chronique sociale, une comédie. Parce qu'on a droit de le faire. Et dans la comédie, il y a quelques règles. C'est les mêmes règles pour tout le monde. Je ne vais pas les réinventer parce que je fais un film algérien. Alors, une fois qu'on a posé ces règles, la chair peut être algérienne. La façon avec laquelle on raconte, les choses qu'on raconte, l'humour peuvent venir d'un endroit.
Mais les règles sont les mêmes pour tout le monde. Quand cette mécanique est en place, c'est bon. ça explique sans doute que ce soit à Namur ou au Caire, et cela m'a fait très plaisir, les gens n'ont pas ri pour les mêmes choses, mais ont adhéré à une mécanique qui fonctionne pour tout le monde. Et puis s'il y a un maître mot dans ce film, celui qui a présidé à l'écriture déjà du scénario, c'est “bien”. Dit sans démagogie aucune, ce que je voulais faire, modestement, du bien au public algérien. Tout en lui posant quelques questions sur des choses qui interpellent notre société, lui faire du bien. Grosso modo, ce que je voulais dire au public, c'est : “Malgré tout ce qu'on a traversé, on est des gens bien.” Malgré nos défauts qui nous pourrissent la vie et qu'il faut que l'on affronte, malgré le fait qu'on ne veuille pas de nous dans la moitié du monde, on est des gens bien.
R. A.


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