Le paradigme khaldounien est toujours de mise : la prise du pouvoir politique ne s'accomplit pas sans la légitimation du sacré, c'est-à-dire le pouvoir se prend par la force et la symbolique de l'appel au sacré. Une telle structure conceptuelle remonte aux temps anciens de la colonisation romaine et Saint-Donat. Pourquoi la tentation du pouvoir est si forte chez les religieux ? C'est à cette problématique qui articule le sacré et le politique que le Dr Ahmed Benaoum a tenté d'apporter des éléments d'analyse lors du colloque international sur le soufisme, dont les travaux se sont clôturés mardi soir à Tizi Ouzou. Pour ce chercheur du CNRPAH, une telle observation repose sur le fait que la daâwa utilise la violence symbolique, rendue possible par le discours millénariste propre aux sociétés rurales. L'intervenant s'est appuyé sur l'exemple de l'insurrection de Boumaza dans le Dahra en 1845, pour arriver au constat empirique que la permanence de l'Etat relativise les insurrections assises sur la symbolique religieuse des zaouïas. Celles-ci restent, aux yeux du conférencier, “le lieu de l'échec du sacré devant le politique”. M. Benaoum fera remarquer que l'articulation du couple le sacré et le politique revêt des formes récurrentes. C'est que les techniques magiques de la prise du pouvoir sont intimement liées à la symbolique religieuse. L'universitaire affirme que ces techniques de légitimation de la conquête du pouvoir sont véhiculées dans les systèmes symboliques religieux formatés par l'action politique. Ce constat a été vérifié lors de l'insurrection de l'ex-FIS. En 1990 au stade du 5-Juillet, des lettres lumineuses “Allah Akbar”, issues d'un rayon laser, avaient fait entrer en transe plus de 120 000 personnes “acquises” au projet politico-religieux et à l'appel au djihad du parti dissous. La violence extrême qui s'en est suivie par la suite est le résultat d'une immense confusion issue de l'imbrication du politique et du sacré que la manipulation de l'imaginaire sacralisé a rendu possible. Les Etats, ayant compris cet enjeu, tentent un retour au système de “différenciation hiérarchisée de la gestion de la société”, conclut le Dr Benaoum. Pour sa part, Mélica Ouennoughi de l'université Paris VIII s'est intéressée, elle, à l'établissement de l'ordre rahmani en Nouvelle-Calédonie grâce aux bagnards kabyles déportés par l'armée coloniale. N'ayant pas bénéficié de l'amnistie au même titre que les communards de Paris, ces déportés algériens issus des zaouïas de Rahmania, ont introduit dans cette prison à ciel ouvert le système coutumier bâti sur la solidarité villageoise de “tajmaât”. Cette même “tajmaât” qui a inspiré la loi de 1901 que les mouvements associatifs de 1886 ont concrétisé. L'universitaire notera que la zaouïa rahmania s'est perpétuée dans l'exil. Depuis Moulay Ould El-Bachir, premier déporté en 1864, jusqu'au dernier convoi de déportés en 1896, la Rahmania s'est instituée avec ses fondements religieux, culturels et juridiques en terre calédonienne. L'explication résiderait, selon Mme Ouennoughi, “dans le fait que le rôle des chouyoukh, hommes du devoir et de la foi, livrés à leur propre destin, avait pour but de transmettre une civilisation millénaire : la touiza”. Cette même touiza que la IIIe République avait supprimé en 1863 dans une optique de dépossession culturelle et identitaire. “Nous retrouvons quelques éléments d'une ancienne codification berbère en déportation vers la Nouvelle-Calédonie”, a-t-elle relevé. La spécialiste en anthropologie historique observera par ailleurs que, même si la plupart des zaouïas sahariennes sont issues de la confrérie récente Tidjania, “le développement de la zaouïa d'El-Hamel s'est opéré dans une structure maraboutique originale, qui fait de cette zaouïa saharienne une unification avec l'esprit conforme aux zaouïas de Kabylie”. Il convient de souligner que les travaux du colloque international sur le soufisme sous le thème “La chevalerie spirituelle dans l'ordre rahmani” a été clôturé, mardi à 18h, par Slimane Hachi, directeur du CNRPAH, en présence des autorités de wilaya et de Son Excellence l'ambassadeur de Turquie à Alger. Les actes du colloque seront publiés sur le site Internet du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH). Yahia Arkat