“Entre nous et le pouvoir, il y a un fleuve de sang qui a coulé. Nous ne marchons ni avec des paroles ni avec des sentiments. Nous voulons du concret. Seule la plate-forme peut constituer une issue. Elle est obligatoire”. La libération de Belaïd Abrika, hier, un peu avant midi, était un événement et non des moindres, dans toute la Kabylie qui, depuis les premières heures de la matinée, commençait à se rassembler devant la maison d'arrêt de Tizi Ouzou pour accueillir celui considéré, comme le reste des détenus du mouvement citoyen d'ailleurs, comme un héros. Les ex-détenus étaient justement tous là : Rachid Allouache, libéré la veille, Tahar Allik, mercredi dernier, Mouloud Chebheb et Makhlouf Lyès, quelques jours auparavant, et Mohamed Nekkah. La sortie d'Abrika est annoncée pour 10h, mais l'attente se faisait longue. Renseignement pris, la libération de Nordine Medrouk n'était pas évidente. Abrika décide alors de ne pas sortir sans son compagnon de prison, arrêté il y a près d'un mois à Béni Douala. Vers 11h, le grand portail de la maison d'arrêt de Tizi Ouzou s'ouvre. Belaïd Abrika est entouré de sa famille, tout habillé de noir, avec sa longue chevelure et sa barbe fournie. Son tee-shirt et le bandeau noir qui entourait sa tête portaient des inscriptions telles que “Ulac smah ulac”, “Pouvoir assassin”, etc. La foule est immense, tout le monde veut l'approcher, les bousculades n'épargnent personne. Une marche est improvisée vers le quartier Les Genêts, via le centre-ville. La foule ne cesse de s'élargir. Vers 12h10, on arrive enfin aux Genêts. Belaïd Abrika ne peut se déplacer aisément, tant il est entouré de milliers de personnes qui veulent tous l'approcher. Mais il ne tardera pas à prendre la parole pour les remercier d'être restées aux côtés des détenus du mouvement citoyen. Le discours ne sera pas court, il rappellera les centaines de meetings animés à travers toute la Kabylie dans le cadre de la campagne antivote. Mais ce ne sera pas le thème cette fois-ci. Ce seront les sinistrés, le baccalauréat, les détenus de Mekla, l'invitation de Ouyahia et la prison. “Le mouvement citoyen a prouvé qu'il est très fort, avec ou sans nous. Notre libération n'est due qu'à votre mobilisation”, déclarera d'emblée Belaïd Abrika, après avoir invité la foule à observer une minute de silence à la mémoire des martyrs du Printemps noir, de Amar Mahrez, délégué d'Illilten, et de toutes les victimes du séisme qui a touché Boumerdès, Alger et Tizi Ouzou. C'est justement des deux premières localités que l'orateur parlera longuement. Il rendra hommage à la population de Kabylie qui s'est entièrement solidarisée avec ces régions sinistrées, en disant encore aux sinistrés de Boumerdès et d'Alger : “Nous sommes entièrement avec vous. El-Mouradia n'a pas été touchée”, ironisera-t-il. Et de lancer : “C'est le séisme du peuple qui arrive et qui ébranlera le pouvoir.” Belaïd Abrika ne ratera pas l'occasion de parler de l'invitation d'Ahmed Ouyahia au dialogue. Il dira que sans de véritables garanties, rien ne pourra se faire. “Entre nous et le pouvoir, il y a un fleuve de sang qui a coulé. Nous ne marchons ni avec des paroles ni avec des sentiments. Nous voulons du concret. Seule la plate-forme peut constituer une issue. Elle est obligatoire”, prononcera-t-il à cet effet. Et de poursuivre : “Nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout, nous savons que ce régime est pourri, c'est une dictature, mais nous savons que l'espoir doit demeurer. Basta la corruption et la hogra !” Revenant sur sa détention, il parlera d'abord des gardiens de prison dont la majorité était du côté des détenus, refusant même d'obéir aux ordres. Il les remerciera à ce propos. Poursuivant son récit, il abordera la question des émissaires, sur laquelle beaucoup d'encre avait coulé. “Il ne faut pas que vous doutiez de nous, car nous sommes toujours les mêmes. Sachez que personne n'est jamais venu chez nous, que s'ils étaient venus, nous les aurions refoulés. De toute manière, nous avions prévenu les gardiens de prison : personne ne viendra chez nous”, s'adressera-t-il à la foule. Et d'ajouter : “Notre combat n'est pas pour notre libération mais pour la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur. Au pouvoir, nous n'avons demandé ni de nous emprisonner, ni de nous libérer, nous sommes prêts à retourner en prison s'il le faut !” Belaïd Abrika n'oubliera pas de s'adresser aux alliés du pouvoir en leur disant qu'ils ne resteront pas là, que les APC et APW sont les biens du peuple. Il rassurera les candidats au baccalauréat à qui il promet l'aide du mouvement citoyen, en parlant même de génocide culturel. Il rendra hommage à Amar Mahrez, délégué d'Illilten, mort en activant pour le mouvement : “Beaucoup de délégués, avec les martyrs du Printemps noir, se sont sacrifiés.” Belaïd Abrika parlera aussi beaucoup des détenus de Mekla, une vingtaine, arrêtés après l'assassinat d'un policier. Il dira qu'il s'agit d'un complot ourdi par le pouvoir dont les émeutiers de Mekla étaient la cible. Il lancera un appel pour que toute la population soit de leur côté, qu'elle exige leur libération car ce ne sont que des victimes du pouvoir. “Le combat est long, mais doit continuer”, ce sera le mot de la fin avant que l'ex-détenu placé sous contrôle judiciaire ne se dirige chez lui. Nordine Medrouk, libéré avec Belaïd Abrika, pour sa part, nous dira : “C'est grâce à la mobilisation citoyenne et à la maturité des délégués que nous avons été libérés. L'avenir de tout un peuple est en jeu. Il faut être prudent et responsable en même temps par rapport à l'offre de Ouyahia. Nous allons amorcer un virage très important qui nécessite une réflexion très importante avant de lui répondre. Considérant que la plate-forme d'El-Kseur est un projet de société — c'est pour cela d'ailleurs qu'elle est scellée et non négociable —, on ne peut pas s'aventurer, car il s'agit d'une question très importante qui engage l'avenir de tout un peuple. C'est pour cela que le combat doit absolument continuer.” K. S.