Selon des statistiques récentes fournies par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, environ 300 000 couples souffrent de stérilité, soit environ 7% de ceux en âge de procréer. Si le couple ne parvient pas à avoir des enfants au bout de deux ans de mariage, sa stérilité devient une très forte probabilité. “On parle de stérilité du couple dès lors qu'on constate le caractère pathologique de l'infertilité”, définit le Dr Keddad, directeur de la population au ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. Notre interlocutrice refuse l'usage des deux termes comme des synonymes, bien qu'ils soient très proches par le sens. Un couple infertile éprouve de grandes difficultés à procréer de manière spontanée. Un couple stérile n'a aucune chance d'y arriver sans assistance médicale et même parfois en y recourant. Au-delà de l'aspect scientifique du problème, la stérilité ou l'infertilité introduit souvent le drame dans la famille, qui ne saurait — dans l'entendement général — se considérer comme telle en ne comptant pas en son sein un ou plusieurs enfants. La mémoire collective perpétue l'histoire d'un homme, marié à deux femmes. Il a des enfants avec l'une. Pas avec l'autre. Cette dernière a interrogé, un soir, son mari sur les raisons qui le font rire à gorge déployée tout le temps qu'il passe chez sa rivale, alors qu'il reste silencieux comme une tombe quand il est avec elle. “Ce sont les bouches sans dents qui me font rire”, répond le mari, laconiquement. Le lendemain, il retrouve son épouse stérile complètement édentée. “Pour que tu sois aussi joyeux avec moi qu'avec ton autre femme, j'ai arraché toutes mes dents”, explique-t-elle naïvement. Réalisant qu'elle n'avait pas compris qu'il faisait allusion à ses enfants en évoquant les bouches sans dents, il l'a répudie, sans autre forme de procès. Dans la vraie vie, les Algériens divorcent pour la seule présomption de stérilité de l'épouse. Le témoignage de Nawiya, une femme de 39 ans rencontrée à la clinique Feriel, est édifiant en ce sens qu'il illustre la promptitude de nos concitoyens à présumer facilement que l'incapacité d'enfanter est un problème strictement féminin. “Mon mari a divorcé deux fois parce qu'il n'avait pas d'enfants. Nous sommes mariés depuis dix ans. Les cinq premières années, il refusait toute idée de consulter, bien que ses deux ex-femmes ont eu plusieurs enfants (six pour l'une et quatre pour l'autre, ndlr). Je l'ai menacé de le quitter s'il ne faisait pas d'analyses pour confirmer ou infirmer sa stérilité. Il ne voulait pas subir un troisième divorce, donc il a cédé. Les résultats sont clairs. Il souffre de carences au spermogramme.” Le directeur de la clinique Feriel, spécialisée dans la procréation médicalement assistée, le Dr Nedir Chérif, affirme que 65% des couples qui viennent dans sa structure pour pouvoir donner la vie par assistance médicale souffrent de stérilité d'origine masculine. Cette proportion se confirme certainement dans la statistique générale sur la pathologie. “Il est fini le dogme de mettre la stérilité sur le dos de la femme. Les deux conjoints doivent faire une exploration”, ajoute-t-il. Le Dr Keddad atteste, par son expérience professionnelle, que “la stérilité du couple est très mal vécue au niveau individuel et familial”. La situation est ressentie comme un échec du projet de fonder un foyer, officialisé par le mariage. Elle est assimilée, aussi, à un coup porté à la virilité du conjoint. “Pourtant, la stérilité n'est pas liée à la virilité”, lance Mme Nouara, secrétaire du centre de procréation médicalement assistée de la clinique El-Farabi à Annaba. Nul besoin donc de mener de longues études de médecine pour se rendre à cette évidence qui échappe pourtant à une bonne partie de la population. Selon les dernières statistiques établies par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, environ 300 000 couples sont stériles, soit 4% à 7% de conjoints légaux en âge de procréer. Le Dr Keddad précise que ce chiffre n'est pas obtenu auprès de couples interrogés directement sur leur fertilité. “Ce sont les enquêtes de santé de la mère et de l'enfant et celles sur la contraception qui nous permettent de mesurer indirectement la stérilité en Algérie.” Le procédé est simple. “Nous ciblons les couples mariés en âge de procréation. Nous leur demandons pourquoi ils n'utilisent pas — quand c'est le cas — de moyens de contraception modernes.” Elle explique que la fécondité est déterminée par deux facteurs : la nuptialité et la contraception. Il s'avère que l'indice synthétique de fécondité est tombé, en Algérie, à 2,25 en raison de la maîtrise de la planification familiale et du recul de l'âge du mariage. Une enquête de l'OMS, menée en 2006, confirme que l'âge du premier mariage est de 33,5 pour l'homme et de 30 ans pour la femme. C'est justement cette tendance qui induit le risque d'amplification du problème d'infertilité. “Le nombre de couples qui n'utilisent pas de contraceptif — donc qui désirent avoir un bébé — est monté de 6% en 1992 à 33% en 2006”, informe la directrice de la population au département de Saïd Barkat. Une potentielle hausse des statistiques afférent à la stérilité pourrait se justifier, également selon elle, par une meilleure aptitude des jeunes couples à communiquer et à appréhender la difficulté ensemble. “Nous avons beaucoup de moyens d'exploration de l'infertilité. Cela coûte 2 000 DA. Il ne faut pas hésiter à faire un diagnostic avant de prescrire un traitement”, recommande le Dr Nacereddine Aïssaoui, gynécologue et chef de service du centre PMA de la clinique El-Farabi. Une manière aussi de faire gagner du temps au couple qui se perdra sinon dans les méandres de voies sans issue. Souhila Hammadi