À chaque fois qu'une répression des plus sanglantes est imposée au peuple palestinien, les chaînes de télévision de l'Hexagone redoublent d'ingéniosité pour les justifier, sans intention de nuire, semble-t-il. À défaut de se concerter pour opposer une puissance de feu aux néo-nazis israéliens, les Arabes préfèrent se donner en spectacle par El-Djazeera interposée et s'entredéchirer, par la même occasion, tout en formulant l'espoir, après avoir bien aspiré le contenu d'un narguilé, que la buscherie de Washington intervienne salutairement en vue de mettre fin à cette énième mascarade meurtrière. La tragédie de Kafr Kassem aurait pu être un exemple édifiant, d'autant qu'elle a été immortalisée par le cinéma libanais auquel elle permit alors de sortir de sa léthargie. Nous sommes en 1974, date que choisira justement Borhan Alaouié pour commettre Kafr Kassem, un film d'une très grande teneur. Une œuvre dense sur un massacre, froidement organisé par la horde sioniste, d'une partie des habitants du village martyr de Kafr Kassem, en Palestine occupée. Un massacre que le réalisateur a voulu restituer à l'effet d'établir une relation des faits désamorçant le suspense dramatique et de nous intéresser, comme l'ont souligné non sans pertinence Les Cahiers du cinéma en janvier 1975, à la vie de ces gens justement parce que nous savons qu'ils vont mourir. Se dégageant, par conséquent, de toute finalité dramatique, le film vaut par le fait même qu'il privilégie l'analyse sans pour autant réduire les personnages qui rejouent l'histoire à des silhouettes. Chacun assume sa part de réalité, recommence presque les gestes des morts, redit à la radio israélienne les messages obligatoirement sereins, porte le même short blanc taillé dans un sac américain que celui qu'on connaissait à l'un des morts, écoute la voix tutélaire de Nasser à la table du café et croit comme presque tous les Palestiniens en 1956, au moment de la nationalisation du Canal de Suez, que le raïs égyptien est seul capable d'assumer leur destin. Débarrassé de la tension dramatique qu'un film conçu de manière traditionnelle n'aurait pas manqué de soutenir jusqu'à son exploitation spectaculaire, le scénario met systématiquement en évidence les rouages de la machine à tuer, comme il dévoile les contradictions qui l'entourent, de part et d'autre. Le racisme juif et la démission arabe. En termes décodés, le film est loin d'être une sorte de martyrologue. Bien au contraire, il procède d'une démarche en complète rupture avec le sentimentalisme, l'indignation et le nationalisme étriqué chers au monde arabe. En choisissant délibérément de priver les mythologies de leur support, Kafr Kassem réussit à démontrer que le processus de mise à mort des habitants du village est inhérent à la nature d'Israël, et le reconnaître ne peut que conduire à une analyse positive du réel. Dans Noces de Galilée, le magnifique film du cinéaste palestinien Michel Khleïfi, Abu Adel y marie son fils. Il est moukhtar (maire du village) et il tient à fêter dignement ce mariage, c'est-à-dire sans couvre-feu. Le gouverneur israélien accepte, mais à la condition d'assister à la noce avec ses hommes. Les villageois ne comprennent pas que le moukhtar ait accepté un tel contrat. Pas de fête sans dignité. Les nationalistes se préparent, les mariés aussi, et les enfants jouent les danseurs… Tout peut transformer la fête en drame. Des militaires au marié. Chacun est une de ces particules dont l'action peut engendrer la catastrophe pour tous. Certains plans réussis n'enlèvent rien au plaisir de voir le film. La situation est tendue, le fil l'est aussi, Des rôles sont renversés et les rebondissements ne laissent pas de repos.Michel Khleïfi recrée un microcosme explosif et, dans la célébration d'une union, retrace les frontières qui séparent les deux communautés. Frontières fragiles ; parce que le cinéma est encore cet espace où le mot paix est crédible. Frontières fragiles ; parce que le cinéma permet encore de briser les frontières. Un film tout en symboles où le dialogue est une affaire de poésie plutôt que de tractations politiques. Un film à voir au jour où la construction d'une clôture de sécurité laisse présager la frontière unilatérale. Cette ellipse cinéphilique est loin d'être un simple exercice de style. Elle a été conçue de manière à mettre l'accent sur le fait que la main mise de l'hégémonisme américain, sanctifié par la mondialisation, ne saurait être pleine et entière sans un monde arabe domestiqué à jamais et acquis, à l'image de ses roitelets, aux thèses les plus fantaisistes de l'Administration américaine. Le président Nicholas Sarkozy avait beau rassurer, lors de sa tournée des popotes dans certains pays arabes, que le conflit à l'honneur n'avait aucune arrière-pensée civilisationnelle. Pour autant, les faits sont là, plus têtus que jamais, pour imposer le contraire à la face du monde. Surtout lorsque George Bush reconnaissait, à l'occasion de la commémoration du soixantième anniversaire de l'attaque japonaise sur Pearl Harbor, qu'il s'agit de la bataille de la civilisation. Devenu terroriste par la seule volonté de la coalition américano-sioniste, Yasser Arafat, dont le rameau d'olivier a été emporté par des flots de sang d'une jeunesse palestinienne avide de souveraineté nationale, l'avait appris à ses dépens. Son seul crime, si crime il y avait, était intimement lié au désir bien compris du peuple palestinien de voir un jour les instances internationales concernées obliger la horde sioniste à respecter toutes les décisions, à commencer par la résolution 194 de l'ONU qui reconnaît aux Palestiniens – victimes d'une politique de “nettoyage ethnique” – le droit au retour en Palestine. Avec la situation dramatique vécue dans sa chair par la population de Gaza, l'Autorité palestinienne, savamment mise en scène depuis les négociations d'Oslo, se trouve sinon devant un cul-de-sac du moins devant une situation inextricable : ou elle fait son deuil de l'application de la résolution 194 de l'Onu et elle renégocie, en position de faiblesse ; ou elle reprend le chemin de l'exil et fait sienne la juste thèse de Georges Habbache, portée par l'œuvre littéraire prémonitoire du chahid palestinien Ghassan Kanafani, soutenant que la libération de la Palestine passe nécessairement par celle de tous les pays arabes. Adaptée magistralement à l'écran par le cinéaste égyptien Tewfik Saleh, cette œuvre, plus connue sous le titre d'El Makhdou'oun (les dupes), est conçue comme une métaphore de la tragédie du peuple palestinien. Elle raconte l'histoire de trois Palestiniens candidats à l'émigration clandestine de l'Irak vers la terre promise : le Koweït. Un chauffeur de camion-citerne les emmène avec lui contre une grosse somme d'argent. Le contrôle des frontières en plein désert se prolonge et devient un calvaire pour les passagers clandestins qui se meurent dans la fournaise du réservoir. Personne n'entend leurs appels de détresse… Abdelhakim MEZIANI