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Abdelmadjid Meziane ou la solitude d'un penseur de fond
EVOCATION
Publié dans Liberté le 31 - 01 - 2009

Digne héritier de la dynastie des Zianides, esprit scientifique pointu et incontestable, Abdelmadjid Meziane reconnaissait, cependant, que nous sommes loin d'une école créatrice de doctrines et de traditions d'enseignement, à l'image de celles magistralement dirigées par Ibn Baja ou Ibn Rochd. Mais, relevait-il, il y a école dès lors que plusieurs intellectuels reçoivent et assurent la transmission de la hikma tout en étant eux-mêmes des maîtres de théologie attachés à cette discipline au XIVe siècle. L'ancien ministre de la Culture vouait un respect des plus profonds à Mohammed Abdallah al-Abili, la personnalité centrale de cette école, pour avoir su promouvoir les disciplines dites rationnelles en s'inspirant le plus souvent du rationalisme cher à Ibn Rochd, alors qu'il s'était modérément intéressé à l'œuvre d'Ibn Sina, surtout en tant que support philosophique du Tassawaf.
Les propos qu'il a notamment tenus, bien avant son décès intervenu en janvier 2001, sur les questions lancinantes du divorce et de la polygamie ont provoqué une véritable levée de boucliers.
Mais pour ceux qui ont à cœur l'itinéraire universitaire et les recherches de cet intellectuel sorti tout droit d'un poème d'Al-Moutannabi et s'abreuvant le plus souvent à cette source intarissable et insondable qu'est la pensée khaldounienne, il n'y a là rien d'étonnant ni de particulièrement conjoncturel.
Dans une intéressante contribution publiée durant les années 1970 par Révolution africaine, alors hebdomadaire du FLN, Abdelmadjid Meziane soutenait non sans pertinence que nos sociétés n'ont nullement intérêt à se laisser prendre par de trop fréquents pèlerinages aux sources : “Les cultures qui s'épuisent à creuser le passé, les idéologies qui se construisent artificiellement sur les bases mentales des générations ancestrales ne pourront qu'appauvrir la personnalité présente (…). Qu'on ait envie de s'arrêter pour choisir, qu'on ne veuille pas sacrifier les bons vieux matériaux pour la reconstruction des personnalités nationales, voilà qui paraît bien légitime. Mais que l'on n'ait d'admiration que pour l'héritage ancestral, et voilà que l'on sombre dans la paralysie mentale.”
En d'autres termes, une société ne peut accéder à un niveau supérieur de civilisation que si elle devient assimilatrice, c'est-à-dire que sa personnalité de base, au lieu de s'enfermer dans ses positions de résistance, doit affronter les influences étrangères et savoir les adapter à son propre mode d'existence.
D'aucuns, faisait remarquer l'universitaire, considéraient cependant cette ouverture sur l'universalité comme un signe de dépersonnalisation : “Ce sont les défenseurs de l'orthodoxie. Résister idéologiquement sans accepter ni confrontation ni échange, c'est accepter de réduire de plus en plus sa personnalité et risquer par-là même de la faire disparaître un jour.” Pour l'ancien ministre de la Culture, toute résistance purement subjective est dérisoire, car elle a pour but la conservation étroite, sans comparaison avec le monde extérieur. Elle postule une spécificité absolue, c'est-à-dire une distinction et une indépendance totale par rapport au reste de l'humanité. L'histoire, soutenait le professeur Abdelmadjid Meziane, nous enseigne que notre société est entrée d'une manière irrémédiable dans l'ère du conservatisme à partir du XIIe siècle, période qui coïncide d'ailleurs avec les premiers indices de notre décadence culturelle : “C'est bien ce peuple qui passa sans trop d'embarras du kharédjisme au chiisme, et du chiisme à la sunna.”
Ceci étant, l'orthodoxie ne tardera pas à devenir l'Etat, la conservation de la doctrine officielle équivalant à la conservation du pouvoir. Mais, fera remarquer l'ancien recteur de l'université d'Alger, les penseurs de ces régimes médiévaux surclassèrent leurs dirigeants politiques et se servirent sans hésitation des armes des princes pour provoquer toutes les inquisitions et pour anéantir les ennemis de leur dogme : “D'un côté, les cerveaux créateurs étaient réduits au silence et annihilés par des penseurs officiels, et le processus de décadence ne pouvait être qu'accéléré par ce dessèchement culturel. D'un autre côté, le peuple qui ne faisait que prendre le masque des orthodoxies, ne manque pas d'assouvir ses vengeances contre ces idéologies de contrainte.”
C'est donc parce qu'elle a réduit les esprits vigoureux au silence, semble dire le professeur Abdelmadjid Meziane, et aussi parce qu'elle a sous-estimé le peuple que l'idéologie officielle s'est momifiée, laissant l'initiative à des forces du mal autrement plus redoutables.
Des forces qui allaient compromettre dangereusement l'avenir d'un peuple et retarder considérablement les transformations démocratiques de la société.
Abdelhakim Meziani


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