L'ancien représentant de l'ONU en Irak qualifie de crime l'invasion de ce pays par les troupes américaines. Il est l'un des Algériens les plus connus et les plus respectés à l'étranger. Globe-trotter de la paix et homme des missions difficiles, Lakhdar Brahimi est également réputé pour sa propension à dire des vérités crues, un trait de caractère qui le distingue de certains de ses amis diplomates de l'ONU, plus soucieux d'arrondir les angles et de ménager les puissants. Ses appels incessants à l'affranchissement de l'institution onusienne de l'emprise d'une poignée d'ordonnateurs, à leur tête les Etats-Unis, son opposition farouche à l'intervention militaire de ce pays en Irak et sa révolte quant au sort réservé à l'Afghanistan par les GI's et leurs alliés de l'OTAN, sont des positions hardies qui valent à M. Brahimi d'être considéré comme un empêcheur de tourner en rond, un perturbateur de l'ordre établi. Mercredi dernier à Londres, l'ancien chef de la diplomatie algérienne a eu l'occasion de réitérer ses critiques, en les illustrant notamment par les péripéties et les obstacles qui ont entravé son rôle de médiateur onusien. “Irak, Afghanistan : bonnes ou mauvaises guerres ?” Telle est la question à laquelle il était invité à répondre. La conférence tenue dans la soirée, à l'Institut des sciences politiques et économiques, a attiré un large auditoire formé d'enseignants et d'étudiants. En guise de présentation, Marie Kaldor, professeur à l'institut a relaté une anecdote, confirmant l'immense notoriété de M. Brahimi. Il y a un an, ils étaient tous les deux à Berlin pour une rencontre de Handicap International. En retard à un dîner, ils étaient en quête désespérée d'un taxi quand l'un s'est arrêté. Le chauffeur, un Palestinien qui avait reconnu le diplomate algérien, était non seulement heureux de le conduire ainsi que son accompagnatrice à leur destination aussi il ne voulut pas se faire payer la course. “Il avait exprimé à M. Brahimi toute l'admiration qu'il avait pour lui”, se souvient M. Kaldor. L'estime dont M. Brahimi jouit au Moyen-Orient date de son passage à la Ligue arabe où il a été l'artisan des accords de Taef ayant mis fin à la guerre civile au Liban. Mais pas seulement. Son objection à l'instrumentalisation du droit international dans le cadre du conflit israélo-palestinien lui vaut un profond respect. En 2003, il se prononce contre l'intervention américaine en Irak. “Cette invasion était injustifiée”, martèle le diplomate. Exhumant “la fable des armes à destruction massive” qui a servi d'alibi à Washington, il s'épanche sur les résultats désastreux de cette opération : un million de victimes irakiennes, quatre millions de déplacés et de réfugiés… “Bush a détruit l'Irak et c'est un crime”, a assené M. Brahimi devant une assistance approbative. Troquant son statut de professeur contre celui de journaliste ; Marie Kaldor lui demande alors si Bush et Blair doivent répondre de ce crime devant un tribunal. “Pourquoi cela ne devrait-il pas arriver ?”, a répliqué M. Brahimi. En 2004, il est envoyé en Irak où Kofi Annan, ex-secrétaire général de l'ONU, le désigne comme son représentant et lui confie la mission d'aider les Irakiens à rétablir l'ordre institutionnel. Il arrive à Bagdad quelques mois après l'attentat ayant ciblé les locaux de l'ONU. Le pays est gagné par une violence inouïe. “Les Américains nous ont dit qu'ils ont changé d'avis, qu'ils ne désiraient plus rester en Irak et voulaient mettre en place un régime local”, raconte le diplomate. Mais déjà, ils lui mettaient des bâtons dans les roues. Alors qu'il était chargé de mener des consultations avec les représentants des diverses forces politiques dans la perspective de tenir des élections, Washington place ses pions. “Je n'ai pas fait du bon travail”, se reproche M. Brahimi avec l'impression d'avoir accepté de prendre un pari perdu d'avance. Quelques mois après, il démissionne. Comme pour l'Irak, son rôle en Afghanistan lui inspire un constat tout aussi mitigé. D'abord en 1997, puis en 2001, Lakhdar Brahimi se rend deux fois dans ce pays, dans l'espoir d'enclencher un processus de réconciliation nationale à même de rétablir la paix. De son passage, il tire quelques résultats positifs, concernant notamment l'amélioration des conditions de vie des populations locales (meilleur accès aux soins, à l'école…). Mais la sécurité n'a pas été restaurée. Une réalité que les Etats-Unis – et leurs alliés de l'OTAN auxquels échouait le rôle de chasser les talibans – ne voulaient pas admettre. “Les Américains ne voulaient pas entendre parler de ce qui n'allait pas en Afghanistan”, a rapporté l'ex-représentant de l'ONU. Selon lui, la seule motivation qui les a poussés à intervenir dans ce pays était de retrouver Ben Laden. En Afghanistan ou ailleurs, les envoyés des Nations unies se sont trouvés souvent les mains liées, incapables d'agir. À ce propos, M. Brahimi ne tarit pas d'exemples : le Darfour, le Rwanda et Srebrenica. “Le Conseil de sécurité délivre des mandats, mais ne fait rien pour qu'ils soient appliqués”, accuse l'ancien MAE et de renchérir : “Si elle continue comme ça, l'ONU va encore échouer.” De l'avis de M. Brahimi, la subordination de cette institution aux Etats-Unis et son impuissance ne font que la discréditer davantage. D'où, selon lui, les manifestations d'hostilité qui se sont exprimées à son égard. Revenant sur les attentats d'Alger dont l'une des cibles était le siège du Pnud, il a indiqué que la sécurité des infrastructures et des agents de l'ONU à travers le monde est tributaire de la capacité de cette organisation à restaurer son image. “ça sert à quoi d'être dans un bunker et de rompre ses relations avec le public ?” s'est-il exclamé. Pour rappel, M. Brahimi a dirigé, en 2008, sur instruction du secrétaire général Ban Ki-moon, un groupe indépendant sur la sûreté et la sécurité des locaux et du personnel de l'ONU. Ce groupe avait été mis en place après les attaques d'Alger. S. L.-K.