La violence est entrée dans l'école, s'y est banalisée et répandue. Les effets, parfois mortels, de cette scandaleuse brutalité infantile ont poussé le ministre de l'Education nationale à envisager la création d'une “police” scolaire. La violence en Algérie a accompli une longue marche de plusieurs décennies avant de finir dans les salles de classe. Au commencement, il y eut la violence politique. Dès le lendemain de l'Indépendance, le peuple assistait, médusé, à des explications sanglantes entre les libérateurs du pays autour de l'enjeu de pouvoir. Depuis, le pouvoir ne s'est plus départi de ses réflexes : démonstrations de force pour dissuader toute velléité contestataire et actions punitives contre les récalcitrants. Progressivement, la part de peur prenait le pas sur la part de civisme dans l'ordre public. Les institutions disposant de prérogatives de coercition, inspirées par la violence politique d'Etat, ont adopté la culture de la brutalité. Longtemps, cette quiétude faisait de notre territoire un espace de sécurité remarquable et de nos lieux sociaux des zones de convivialité qu'on évoque encore avec nostalgie. Mais dans sa dérive répressive, le pouvoir continuait à rétrécir les périmètres de liberté. Et devant la genèse des revendications démocratiques, cette tendance autoritaire s'accentua. La mouvance islamiste, encouragée par le pouvoir pour étouffer la culture moderniste porteuse d'exigences démocratiques, occupait un à un les derniers carrés de tolérance et de civisme : la mosquée, les campus. Le système y voyait probablement plus une arme contre le mouvement d'évolution politique que la menace d'une idéologie belliciste. De la même manière, l'arabisation idéologique, qui visait à l'exclusion d'une génération globalement francophone de tous les espaces publics, constituait une violence contre les élites des années 1970 et 1980. Nos professeurs, médecins, ingénieurs et humanistes étaient devenus des “étrangers linguistiques” et n'étaient plus que des “coopérants techniques” dans leur pays. Cette rupture linguistique de la filiation culturelle entre deux époques permettait de livrer les enfants, pieds et poings liés, à une idéologie de la violence distillée dans des mosquées et des écoles à des “coopérants identitaires”. En octobre 1988, la révolte de la jeunesse apprit à tous, aux islamistes en particulier, que la brutalité d'un pouvoir n'est pas la force d'un Etat. Depuis, la conquête de ce pouvoir par tous les moyens est devenue l'objectif de cette mouvance. Le pouvoir se défend comme il peut : en se protégeant physiquement et en abandonnant la société à la régence dogmatique des milieux intégristes. L'université fut la première à en faire les frais, avec sa première victime, le jeune Amzal, en 1982, puis ce fut le tour des mosquées devenues enjeux politiques et de presque tous les espaces publics. Le catéchisme dogmatique remplace peu à peu le civisme. L'insécurité de la voie publique s'est banalisée ; le stade est devenu un lieu de défoulement ; l'école s'initie à la violence ordinaire. Et l'Etat, après avoir déserté sa fonction civique, suit le mouvement et, enfermé dans sa logique répressive, crée chaque jour une police de plus. M. H.