Le marketing politique a existé. On l'a rencontré. Habitués à “copier” tout ce qui se fait en Europe (et aux Etats-Unis) servant à conquérir ou à consolider leur pouvoir, il est évident que nos décideurs ont usé (et abusé en raison même du monopole détenu, parfois pour se “faire plaisir” ou pour se donner des attestations de réussite) des techniques et méthodes appliquées d'abord (mais pas avant tout) au simple commerce. C'est en 1990, avec l'ouverture du champ politique qui a introduit une “certaine concurrence”, que l'on vit apparaître les premiers plans et programmes de communication. Mais, cela ne vint pas du pouvoir en place, encore trop enfermé dans ses certitudes et sa compétence supposée, ni d'ailleurs des vieux partis ayant trop vécu dans une clandestinité stérilisatrice (il existerait une “consanguinité” en politique qui, peu à peu, amène une dégénérescence de la créativité ?). Elle ne vint pas de nouveaux partis ayant peu de moyens humains et matériels, les idées n'amenant pas nécessairement le succès — durable — auprès des foules assoiffées de plus d'actions et de moins de discours. Cela vint avec un nouveau et très jeune parti politique, en l'occurrence l'(ex-)FIS qui, pourvu de gros moyens financiers, appuyé par des personnes se trouvant à l'étranger, universitaires ou affairistes bien formés et/ou bien introduits, s'est rapidement préparé pour accompagner, en vue d'élections (locales puis nationales), en acquérant les outils nécessaires (il fut un des premiers à exploiter les Ntic en mettant en place son propre réseau de communication dont l'audiovisuel et les appareils fax étaient la colonne vertébrale : une véritable toile de communication autonome de collecte, de production et de transmission de l'information), en attirant, d'une façon ou d'une autre, les cadres humains nécessaires… et en faisant appel – dit-on — à des services extérieurs d'entreprises spécialisées qui lui ont élaboré sinon un plan, du moins des programmes de communication : le coup du laser au stade du 5-Juillet, le slogan choisi pour les élections (Six = FIS), les parades organisées de manière “militaire” donc très frappantes, les costumes traditionnels en tant qu'uniformes, les minbars des mosquées, les haut-parleurs, les barbes fleuries et parfumées, la présence de femmes en hidjab et plus que belles, des rencontres sportives regroupant les stars du Mondial 1982 et ce, “pour collecter de l'argent, afin d'aider les déshérités”, une ligne politique ne déviant à aucun moment, une idéologie à la portée de tout un chacun… Voilà de quoi capter l'attention, susciter l'intérêt, faire naître le désir de participer puis d'agir. Au sein des foules… puis seul. Le marketing politique a existé ! On l'a rencontré durant la décennie rouge. Lorsque l'Algérie, quasi totalement boycottée sur le plan international (même par bien de ses “amis et frères”) et dont les institutions étatiques et les forces de sécurité se trouvèrent presque seules face au terrorisme, a mis au point une stratégie avec des programmes de communication destinés à l'étranger (afin qu'il y ait, sinon une adhésion, du moins un peu plus de compréhension de la lutte antiterroriste menée) et aux citoyens algériens. C'est en 1994 que naquirent les “cellules de communication”, concept et organisation adaptés à une situation difficile. Un véritable maquis nécessitant des “combattants” mobiles, imaginatifs et efficaces, agissant de manière coordonnée et planifiée, bien que souple. Des programmes bien plus que des plans. Le marketing politique et son pendant opérationnel le plus important, le plan de com', ont existé ! On les a rencontrés à partir de l'année 1999, avec la préparation de l'arrivée au pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika. Testés timidement pour le premier mandat, avec, certes, l'intervention de “communicators” algériens proches du candidat et, selon les mauvaises langues de l'époque, de “gourous” étrangers dont le fameux Séguéla, inventeur du slogan miterrandien “La force tranquille”, mais aussi et surtout avec une impulsion assez forte du candidat lui-même qui avait sa propre expérience de la chose politique, internationale et algérienne, et un réseau personnel et parallèle de communicateurs. Ne dit-on pas que le premier média, c'est le “chef”. La stratégie de com' s'est affinée pour la préparation du second mandat en raison d'une “concurrence” inattendue (?), celle d'Ali Benflis, un homme qui avait participé à la préparation de la stratégie de communication en 1999. Une concurrence qui, si elle n'était pas contrecarrée par une action efficace et pointue, semblait porteuse de gros risques. Le “chef” et le réseau personnel ne suffisaient plus et de gros moyens intellectuels, matériels et financiers (le premier mandat avait préparé le terrain) devaient être mobilisés. Ce fut une campagne axée sur l'imagination créatrice de nouveaux “communicators”, plus techniciens que politiques, peut-être plus jeunes, à travers tous les médias possibles : radio et télévision (d'autant que l'adversaire principal avait à sa “disposition” une ou deux télés satellitaires), affiches et affichage, slogans, photographies, discours, présence étudiée au sein des foules… Le marketing politique existe et son pendant opérationnel le plus important, le plan de com', existent. Bien sûr, la stratégie de com' s'est améliorée pour la préparation du troisième mandat. Et, il fallait qu'elle s'améliore obligatoirement, en raison, tout particulièrement, du “boycott” par des hommes politiques “crédibles” et crédibilisants (Hamrouche, Taleb, Sadi, Djaballah, Aït Ahmed, Benbitour, Sifi, Ghozali…). Par ailleurs, l'appel au boycott et la peur d'une forte abstention, peut-être découverte lors de “sondages” particuliers ou à travers les reportages journalistiques, n'a fait que renforcer l'idée qu'il ne fallait prendre, cette fois-ci, aucun risque. D'où une stratégie de com' tracée au millimètre près ne s'alourdissant d'aucun scrupule. À la guerre comme à la guerre. Cible(s) : tout le peuple, mais conjugué par régions, par villes d'importance, par couches, par métiers, par genres… par thèmes, le tout géré par une sorte de “logiciel” qui détermine la démarche idoine au moment T (ex : sport à Sétif, femme à…, armée à…, agriculture à…, simple bain de foule à…, culture à…, jeunesse à…, emploi à…, amazighité à…) Objectif : réélection de A. Bouteflika à la magistrature suprême en toute démocratie. En matière de vote, risque presque zéro ! Message(s) : continuité et stabilité, force et sérénité (en 2004, c'était force et dignité, ce qui ne dépayse pas l'électeur… d'autant que cette dernière, la dignité, a été, nous dit-on, retrouvée). Outils : tous les canaux, personnels et interpersonnels, et tous les outils sans aucune exception, traditionnels et modernes. Budget : pas de problème cette fois-ci, les gros soutiens volontaires ou alléchés ou inspirés ou convaincus se bousculant aux portes (alors que durant le deuxième mandat, on faisait du porte-à-porte), celui de l'Etat devenu insignifiant. Média planning : com' intégrée et soutenue du premier au dernier jour. Résultat attendu en dehors de l'élection de A. Bouteflika à la présidence de la République pour un troisième mandat : un taux d'abstention quasi nul, même dans les régions supposées hostiles. La recherche du plébiscite qui permettra d'aller encore plus loin et encore plus vite dans la mise en œuvre des pans délicats du programme présidentiel À partir de là, avec une direction désormais bien rodée, surtout durant le second mandat, tout en n'hésitant pas à faire appel, pour les travaux pointus, aux meilleurs spécialistes existant en Algérie ou vivant à l'étranger, ainsi qu'aux ateliers les plus performants, les programmes, clairs et précis, ne peuvent qu'être efficaces, sachant pertinemment que les autres candidats en lice ne peuvent compter que sur des moyens limités. Ils passeront donc leur temps à “protester”, ce qui est usant, et à ressasser leurs critiques habituelles à l'endroit du “pouvoir” et du “système”. Un seul grand danger ! Une campagne parfaite qui se retrouve débordée sur les ailes par les habituels zélés qui en font trop (après avoir mal lu le Publicitor, le manuel de base), beaucoup trop, au risque de créer, en cours de route ou en fin de parcours, ou juste au moment de la grande décision, des “retours de manivelle” et des rejets. Chez les Algériens, qui carburent, dans le choix de leurs dirigeants, à l'affect bien plus qu'à la raison, même chez les plus convaincus, le risque n'est jamais zéro. D'autant qu'une Alliance de partis politiques n'est jamais parfaite ! B. A-D. (*) Expert-consultant en communication