Se distinguant par une forte demande et une clientèle régulière, notamment émigrée, l'escale algérienne ne peut qu'aiguiser l'appétit du transporteur français. La dernière fois qu'un avion d'Air France foulait le tarmac de l'aéroport d'Alger Houari-Boumediene il était pris en otage par un commando du GIA. C'était en décembre 1994, à la veille d'un noël sanglant. Depuis, l'oiseau s'est envolé. Il a emporté dans ses ailes l'illusion d'une paix recouvrée que les autorités algériennes n'ont cessé de plaider pour convaincre la compagnie hexagonale de revenir et pousser ses voisines européennes à lui emboîter le pas. Les négociations ont duré près d'une décennie. Entre-temps, d'autres qu'Air France ont tenté le risque Algérie. Alitalia, Air Lib, Air Littoral se sont, tour à tour, jetées dans l'eau. Sans danger. Aux yeux de l'entreprise française, ces initiatives avaient valeur de test. Le test est réussi. Ne manquait alors qu'un quitus, celui que le président jacques Chirac a ramené dans ses valises en mars dernier à Alger. Air France revient. Samedi, 28 juin, 8 heures 45min. L'Airbus A 321 d'Air France en provenance d'Orly-Sud vient de se poser sur l'une des pistes de l'aéroport d'Alger. Venus en nombre, les journalistes courent vers l'appareil. Les agents de sécurité ont peine à les contenir. Les questions fusent. Les appareils photos crépitent. D'innombrables scènes immortalisent le moment tant attendu. À leur descente d'avion, les passagers sont accueillis avec des roses. Postées au pied de l'appareil, des hôtesses d'Air Algérie affichent un sourire radieux. Elles souhaitent la bienvenue aux nouveaux arrivants et leur tendent la fleur rouge soigneusement enroulée dans du papier cellophane. Reconnaissables à leur allure guindée, les membres de la délégation officielle se suivent dans un flux interminable. Ils succèdent sur le tarmac au ministre des transports et de l'équipement, Gilles de Robien et au président d'Air France, Jean Cyril Spinetta. Accueilli par son homologue algérien Abdelmalek Sellal, Gilles de Robien s'engouffre aussitôt dans le bus. La journée s'annonce chargée pour l'envoyé de Matignon. Outre l'inauguration de la desserte d'Air France, d'autres points de discussion tels que la relance des investissements pour les projets du métro et de la nouvelle aérogare d'Alger sont inscrits à l'ordre du jour de son programme de visite. “Nous sommes heureux de reprendre les vols pour Alger, 70 ans après la première liaison aérienne entre Paris et Alger. Il s'agit aujourd'hui de faire de cette liaison une grande réussite”, a déclaré M. De Robien au cours d'une brève escale au salon d'honneur. Tenant à relever ce défi, les Algériens ont mis le paquet. Ils ont déroulé le tapis rouge et offert des roses à leurs hôtes. Mais, plus encore, ils ont réquisitionné l'essentiel de leur police aéroportuaire pour faire en sorte que l'épisode du détournement de 1994 ne soit qu'un fâcheux et lointain souvenir. Kalachnikovs au point ou l'arme dissimulée, des agents en uniforme bleue veillent au grain. Ils sont déployés tout autour de l'avion. Le regard aux aguets, tripotant sans cesse leurs talkies-talkies, des policiers en civil prennent également part au dispositif mis en place sur la piste. Cinq Nissan sont, par ailleurs, stationnés à quelques pas de l'appareil, prêts à intervenir. Ce matin, sur ce bout de goudron, l'Algérie joue son avenir. La moindre faille serait désastreuse et le retour à la case départ inévitable. Aussi, cette sombre perspective l'a-t-elle contraint à faire quelques concessions au transporteur français afin de lui offrir les meilleures garanties de sécurité. Telle la mesure relative à la présence d'un observateur d'Air France au départ d'Alger pour s'enquérir du bon déroulement de l'opération de contrôle des passagers. Trois agents sont également présents à bord de l'avion. Ce matin, ils faisaient partie du vol AF 3539 en provenance de Orly. Très discrets, personne parmi les passagers ne s'est aperçu de leur présence à bord. “Ah bon ?”, a demandé Samia surprise. Voyageant avec Fodil, son petit garçon, Samia ne savait pas que des dispositions de sécurité spéciales sont prises à l'intérieur des avions d'Air France en partance pour l'Algérie. Cela fait plus de dix ans que cette jeune émigrée n'a pas pris de vol AF à destination de son pays natal. “J'étais désespérée de ne pas trouver de place sur Air Algérie. Puis, un jour en regardant la télévision, j'ai appris qu'Air France allait reprendre l'escale algérienne. Je me suis dirigée aussitôt vers une agence de la compagnie. J'ai acheté un billet et un supplément pour mon fils. Cela ne m'a pas coûté plus cher (809 euros)”, confie Samia. Pour la jeune maman, point de changement donc. À sa descente d'avion, il y avait juste un peu plus de policiers que d'habitude. Egalement familiarisé avec le dispositif sécuritaire, Robert est venu à Alger pour ses affaires. S'empressant de rallier l'aérogare, il scrute enjoué les mines quelque peu effarouchées de ses compagnons de voyage. “Ils n'ont pas l'habitude de voir autant de policiers sur un tarmac”, plaisante-t-il. Attaché au cabinet du ministre De Robien, M. Mezzin s'est rendu compte, à Paris déjà, qu'il allait prendre un vol très spécial. “Tous les passagers ont été obligés de se déchausser pour passer le portique de sécurité, même les membres de la délégation officielle”, révèle notre interlocuteur, avec un sourire au coin des lèvres. Il confiera, par ailleurs, que tous les voyageurs devaient se présenter à la salle d'embarquement une heure avant le décollage. Précision de taille, selon M. Mezzin, le garde du corps du ministre n'était pas autorisé à garder son arme à bord. “Sinon, le vol était très agréable”, assure notre attaché de cabinet. Avant le ministre des Transports, M. Mezzin avait une autre vie, dont une partie en Algérie en tant que coopérant. C'était dans les années soixante… “Naturellement, je suis ému de revenir ici, plus de quarante ans plus tard”, dit-il très ému. Pour Air France, les retrouvailles avec l'Algérie sont plus qu'une affaire de sentiments. Directeur de la ligne Europe, M. Etienne Rachou prévoit quelque 250 000 passagers/an sur les lignes Algérie-France. “Sur un ensemble de 2 millions de passagers”, précise-t-il. C'est dire l'importance de l'escale algérienne pour Air France. Refusant de se prononcer sur les pertes induites par plus de huit ans d'absence, M. Rachou préfère parler d'avenir. Selon lui, même si le programme des vols est arrêté à moyen terme (trois vols quotidiens, soit 340 hebdomadaires), l'augmentation du nombre de fréquences n'est pas exclu. “Si les conditions de marché le permettent”, explique le directeur régional d'Air France. Se distinguant par une forte demande et une clientèle régulière, notamment émigrée, l'escale algérienne ne peut qu'aiguiser l'appétit du transporteur français. Afin de reprendre sa part du gâteau, il a tôt fait d'aligner ses prix sur ceux d'Air Algérie : 31 068 dinars en classe économique et 35 048 DA en classe affaires… De l'argent en plus dans les caisses d'Air France, un défi relevé pour l'Algérie. L'embargo est cassé. Ce dimanche pour la première fois depuis plus de huit ans, le sigle AF s'affiche, de nouveau, sur les écrans de l'aéroport d'Alger. S. L. Sécurité des vols Les dispositions prises Dans un dossier distribué à la presse, Air France rappelle que la suspension des vols des compagnies aériennes françaises à destination de l'Algérie n'a été levée qu'en juin 2000. Le document précise, par ailleurs, que “plusieurs missions de la direction de la sûreté d'Air France auprès des autorités algériennes ont, depuis, permis d'un commun accord entre les deux parties, la mise en place d'un dispositif de sûreté renforcé, conforme aux attentes de la compagnie”. Entre autres dispositions arrêtées, un triple contrôle des passagers et de leurs bagages par l'inspection, le filtrage à l'escale d'Alger (à l'entrée de l'aérogare, de la salle d'embarquement et au pied de la passerelle d'embarquement). À Orly-Sud et à l'aéroport de Marseille, outre les mesures de sécurité décidées suite aux attentats du 11 septembre (inspection, filtrage, comptage), les zones d'enregistrement feront à chaque fois l'objet de surveillance particulière. Les personnels intervenant dans l'avion sont systématiquement contrôlés. Les soutes et les cabines inspectées par des brigades canines avant l'embarquement des passagers. Les bagages seront également soumis au même contrôle et peuvent être passés au détecteur d'explosif. Enfin, des agents de sûreté, embarqués, veilleront à la sécurité des vols. S. L.