“C'est injuste et illégal. Cela veut dire que ces bénéficiaires vont se ficher davantage du peuple”, nous répond spontanément Mohamed M. à la question de savoir ce qu'il pensait du niveau des salaires des ministres, parlementaires et magistrats. Âgé de 35 ans, Mohamed a interrompu ses études de droit, faute de moyens, et se retrouve réceptionniste dans un hôtel de la capitale. “Ce n'est pas illégal puisque les augmentations se sont faites sur une base légale”, lui faisons-nous remarquer. “Alors, la loi est injuste”, dit-il. Avant d'ajouter après un temps de réflexion : “J'ai lu, dans une étude faite par des Européens — des Britanniques, je crois — qu'au vu des richesses dont dispose l'Algérie, le salaire d'un simple travailleur ne devrait pas être inférieur à 100 000 dinars ! Je serais heureux si j'avais une telle paie”, conclut-il avec un regard rêveur. “Je suis convaincu qu'ils pourront toucher encore le double ou le triple, qu'ils seront toujours tentés par la corruption. Je connais l'Algérie…”, nous lance cette dame distinguée qui s'en va avec ses couffins sans plus de commentaires. “Ce n'est pas mon problème, les salaires mirobolants de ces gens. En quoi le méritent-ils ? Je me le demande. Le professeur d'université que je suis n'est-il pas aussi important et surtout plus utile qu'un ministre, un juge ou un député ? Hé bien ! Je vous le dis, monsieur, mon salaire me permet tout juste de faire figure honorable.” Et ce retraité qui vend des œufs bouillis dans les cafés et autres lieux publics qui nous répond d'un ton mi-furibond, mi-rigolard : “Je vends des œufs, pas uniquement pour arrondir des fins de mois difficiles à cause de ma minable retraite, mais, entre autres, pour nourrir trois solides gaillards, tous instruits mais qui n'arrivent toujours pas à décrocher un job. Alors, s'il vous plaît, posez votre question à quelqu'un d'autre !” “Pour des problèmes d'héritage, j'ai dû fuir la maison où l'ambiance devenait malsaine, et même dangereuse. Je suis à la rue où je dors durant les beaux jours. Et je me réfugie dans les hammams, comme maintenant, lorsqu'il fait froid. J'ai perdu mon travail à cause d'une dépression”, nous confie Kamel, surpris avec son baluchon, dans un jardin public, en train de lire un livre de… mathématiques ! Comment fait-il pour vivre ? “Navigui” (je navigue), comme disent les jeunes de maintenant. Je vends, j'achète, et, parfois, je mendie en attendant la décision de justice qui me rétablira dans mes droits. Je ne suis pas un envieux, mais que le magistrat qui gagne 400 000 dinars sache que des gens comme moi pullulent en Algérie !”