Il fait partie de la même génération que Abdelkrim Sekkar, Mourad Chebine et bien d'autres jeunes journalistes que l'ENTV d'Abdou B. avait propulsés à la fin des années 1980, dans un élan d'ouverture médiatique inédit. Hissé au rang de star du JT, le natif de Constantine, a quitté l'Algérie sous la menace des islamistes. Ses équipées lui ont fait faire le tour des médias arabes. Il est à peine reconnaissable dans son jean et ses baskets. Les lunettes qui cerclent ses yeux lui donnent un air de premier de la classe, cette même allure, à la fois espiègle et posée, avec laquelle il présentait le journal télévisé de 20 heures à l'ENTV, il y a presque 20 ans. Un soir, Kamel Alouani demande à Sid Ahmed Ghozali, alors chef du gouvernement, pourquoi il préfère porter le nœud papillon, au lieu de la cravate. Sa question totalement improvisée est restée dans les annales. Il s'en souvient parfaitement et classe cette digression comme l'un de ses meilleurs moments au 20 heures. Son jour le plus sombre coïncide avec l'assassinat du président Mohamed Boudiaf. Il doit annoncer la nouvelle aux Algériens en prime time. C'était le 29 juin 1992. Un an plus tard, Kamel s'exile au Maroc où il déniche un poste à Medi 1. “Je n'avais pas les moyens de prendre l'avion pour aller en Europe. Alors, j'ai pris ma voiture et j'ai foncé sur la frontière ouest”, confie-t-il. Pendant trois ans, il présente le journal de la radio franco-marocaine : “Faire le journal relevait d'un challenge quotidien”, se souvient-il. En 1996, il décide enfin de tenter sa chance outre-Méditerranée, direction Londres, La Mecque des journalistes arabes. “Cette fois-ci, j'avais suffisamment d'argent pour me payer un billet d'avion”, plaisante-t-il. Après un passage à APTM, une grande agence de production, pourvoyeuse de reportages pour les télévisions du Golfe, il est débauché par ANN, la télévision satellitaire syrienne, qui recrute à plein régime. Jusqu'à 2000, il présente le journal de la chaîne. Nouveau siècle, nouveau défi. Et nouvel exil. Abu Dhabi TV lui propose de présenter un de ses JT. Kamel accepte et s'expatrie aux Emirats. Mais au bout de six mois, il décide de retourner à Londres. “Je me suis installé ici avec ma famille”, dit-il avec le désir franc de mettre un terme définitif à ses pérégrinations. Troquant la vie de star et de dorures à Abu Dhabi contre la discrétion confortable de la capitale britannique, l'ex-vedette de l'“Unique” trouve un compromis avec son nouvel employeur et devient le correspondant permanent de la chaîne au Royaume-Uni. Il affectionne tout particulièrement le reportage, un genre qu'il a découvert il y a deux décennies, quand il doublait les documentaires étrangers à la station de Constantine. La cellule de doublage est la porte par laquelle il est entré à la télévision. Les téléspectateurs le découvrent en 1984, en animateur de la première émission de jeux de l'histoire de la télévision algérienne : “Face-à-face”. D'autres suivront, à l'instar de “Rendez-vous avec les chiffres” et “Sin Djim”. Une année avant octobre 1988, la télévision est gagnée par un vent de liberté. Le service de l'information se défait de ses dinosaures. De jeunes loups les remplacent. Kamel Alouani en fait partie. Il quitte la station de Constantine, sa ville natale, pour le boulevard des Martyrs. Avant de prendre les commandes du JT, il fait un crochet par les studios de TF1 et de France 3 pour des stages de formation. D'autres journalistes de l'“Unique” prennent part à ces sessions. Le style de Patrick Poivre d'Arvor leur sert de référence. Une nouvelle ère commence. Exit l'activité protocolaire qui meublait naguère le journal. Le présentateur n'est plus un lecteur de communiqués. Le décor en carton austère du journal disparaît. Le JT vit. “Je recevais des invités sur le plateau. Il ne manquait que le live. Les autorités nous ont laissé faire”, commente Kamel nostalgique. Mais la récréation s'avère très courte. En juin 1991, la gestion médiatique de la grève du FIS conduit l'Etat à reprendre le contrôle du JT. Kamel Alouani jette le tablier. “Le modèle des communiqués ne m'arrangeait pas”, assène-t-il. Disparu de l'écran, il retourne à ses anciennes amours, le doublage. Mais pas pour longtemps. Menacé de mort par les islamistes, Kamel largue les amarres. “L'Etat était incapable de protéger les journalistes. Ils étaient abandonnés. Ils devaient se débrouiller”, clarifie-t-il. Plein d'amertume, il s'en prend à d'anciens collègues qui ont qualifié les candidats à l'exil, comme lui, de traîtres. Quand il était encore là, sous les projecteurs du 20 heures, Kamel était traité de star. Une distinction tronquée qui l'agace toujours. “Je subissais le journal. Le vedettariat est un statut économique et social que je n'avais pas. J'étais payé à 14 000 DA. Pendant deux ans, je ne percevais aucun salaire car j'étais en service civil”, déplore-t-il. Aujourd'hui, sa tête envahie de cheveux blancs est riche d'une foule de souvenirs qu'il conserve soigneusement dans des K7. Il les visionne de temps en temps. Parfois, il lui arrive aussi de regarder l'ENTV. Ce qu'il en pense est un mélange de certitudes et de déception. “L'Etat vit grâce au JT. S'il s'absente, l'Etat s'absentera”, observe-t-il désenchanté.