Silvio Berlusconi avait une occasion de faire mentir ses détracteurs sur ses capacités à diriger l'Europe, et il l'a manquée dès sa première sortie. Pour tous ses prédécesseurs, la présentation de leur programme au Parlement européen a été une prestation sans problème. Pour Silvio Berlusconi, 66 ans, et dont c'est la première présidence européenne, la prestation, mercredi à Strasbourg, s'est transformée en crise. Lorsque le député social-démocrate allemand Martin Schultz s'est livré à un véritable réquisitoire contre lui, le chef du gouvernement italien a dérapé : “Monsieur Schultz, je sais qu'en Italie il y a un producteur qui est en train de monter un film sur les camps de concentration nazis. Je vous proposerai pour le rôle de Kapo. Vous êtes parfait”, lui a-t-il lancé. La comparaison a suscité un tollé en Allemagne, où ce type de remarque suscite en général de vives polémiques, au nom du refus de la banalisation du passé nazi. Le chancelier Gerhard Schroeder ne pouvait pas laisser passer. Il a exigé des “excuses en bonne et due forme pour un dérapage verbal, inexcusable sur la forme et sur le fonds”. L'affaire a pris pendant une journée la tournure d'une grave crise diplomatique, avec convocation des ambassadeurs. Silvio Berlusconi s'est d'abord enferré dans les explications sur ses déclarations, assurant que sa réplique se voulait “ironique” et qu'il “ne voulait blesser personne”. Puis il est passé au registre de l'offensé, affirmant qu'il avait été “blessé par des paroles graves”. Et il a refusé d'entendre tous ceux qui lui conseillaient de s'excuser. Il a pris le lendemain la mesure de la catastrophe. Déjà très critique, la presse européenne s'est déchaînée. Même les quotidiens les plus bienveillants à son égard l'ont crucifié et plusieurs de ses homologues européens — le Luxembourgeois Jean Claude Juncker et le Néerlandais Jan Peter Balkenende — ont déploré ses propos et lui ont conseillé de s'excuser. Pis, ses alliés politiques ont pris leurs distances, et le chef de l'Etat, Carlo Azeglio Ciampi, européen convaincu, l'a convoqué pour lui demander de réparer cet accroc à l'amitié entre l'Italie et l'Allemagne. Silvio Berlusconi s'est exécuté jeudi soir. Il a téléphoné à Gerhard Schroeder pour lui dire qu'il regrettait. Le chancelier a déclaré l'incident clos, en précisant toutefois que la fin de l'incident dépendait du Parlement européen. Mais alors que tout le monde pensait l'affaire terminée, Silvio Berlusconi l'a relancée vendredi soir en déclarant que les regrets exprimés au chancelier n'étaient pas des excuses et qu'il n'entendait pas en présenter au Parlement européen. Et quelques heures plus tard, il a annoncé : “pour moi, l'incident est clos.” La personnalité de M. Berlusconi lui a déjà valu de nombreuses inimitiés. Petit entrepreneur milanais devenu milliardaire, propriétaire de trois chaînes de télévision, il est entré en politique en 1994 avec un parti politique créé de toutes pièces, Forza Italia, dont il est l'idéologue et le financier. Ses nombreux conflits d'intérêts scandalisent beaucoup de pays, notamment ceux du nord de l'Europe.