La volonté avouée de réduire à néant les partis politiques implantés dans la région et la perspective de la prochaine élection présidentielle sont les principaux enjeux de la crise de Kabylie. Deux années après le Printemps noir, la crise de Kabylie n'est toujours pas réglée. Si l'on ne connaît pas encore, de manière claire, les tenants et les aboutissants du déclenchement des évènements qui ont plongé toute la région dans le sang et la terreur, certains cercles, et cela l'opinion publique l'a appris par la suite, ont tenté d'atteindre des objectifs politiques bien précis. Le plus avoué est sans doute celui qui visait à jeter le discrédit d'abord sur les partis implantés dans la région, ensuite sur l'ensemble de la classe politique. Dès le départ, le fait mis en avant par les représentants de l'Etat, relayés par l'ENTV, qui passait sous silence les revendications légitimes de la population, était surtout la mise à feu de quelques sièges abritant les bureaux régionaux du RCD et du FFS. C'est tout ce qu'avait retenu l'Unique qui ouvrait son antenne à tous ceux qui voulaient dénigrer le multipartisme et apporter de l'eau au moulin de ceux qui n'avaient pas “donné l'ordre d'arrêter” le massacre des jeunes manifestants. Cette volonté de ternir l'image des partis politiques visait à faire porter le chapeau aux partis qui, selon le discours officiel d'antan, n'avaient pas su capter les besoins de la population. Tous les maux de la Kabylie ont alors été imputés aux partis traditionnellement implantés dans la région. Toute la propagande officielle a tourné autour de cette mensongère et hâtive conclusion. Et du coup, les responsables de l'Etat n'ont pas jugé utile de faire appel à la classe politique, tant leur objectif premier était de l'exclure. Mais les visées de ceux qui étaient chargés de gérer la crise de Kabylie et ses conséquences n'ont cessé d'évoluer avec le temps. Si la tension était maintenue dans la région, c'est qu'elle sert bien quelques sordides desseins. Le rejet des élections dans la région, légitime au demeurant, parce qu'aucune solution n'a été apportée aux problèmes que posent les jeunes de Kabylie dont des dizaines ont été assassinés, répondait surtout à l'attente des cercles qui favorisaient le pourrissement. La crise est, par ailleurs, devenue, au fil du temps, l'objet de lutte au sommet dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. L'ancien Chef de gouvernement, Ali Benflis, a bien affirmé, après son limogeage, qu'il a été empêché de régler la crise alors qu'il était prêt, confiait-il à ses proches, “à aller planter une tente en Kabylie pour n'en revenir qu'avec une solution définitive”. Mais l'ambition de Bouteflika se dressait comme un infranchissable rempart devant la volonté du secrétaire général du FLN, tant le président de la République qui brigue un second mandat pour El-Mouradia sait depuis longtemps que le réservoir de voix de la région ne jouera pas en sa faveur, mais en faveur de ses adversaires. La persistance de la tension le dérange moins qu'elle le sert. Les évènements du Printemps noir, qui posent, par ailleurs, la problématique du mode de gestion des affaires publiques, seraient également un vrai alibi pour le président de la République pour mettre au frigo la réforme de l'Etat qu'il a lui-même initiée, en chargeant Missoum Sbih de lui présenter un rapport sur le sujet. Le document qui portait, entre autres, sur la décentralisation du pouvoir n'a pas connu de suite. La protestation en Kabylie est brandie comme un risque imminent qui impose l'ajournement d'un tel projet. L'on comprend, en effet, pourquoi tous les efforts de l'administration vont, depuis quelque temps, à contre-courant de la réforme proposée par Missoum Sbih, et pourquoi les projets des nouveaux codes communal et de wilaya sont renvoyés aux calendes grecques par le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, Nouredine Yazid Zerhouni. La crise de Kabylie déclenchée par la bavure de Béni Douala a été instrumentalisée pour servir et continuer à servir les calculs politiciens du pouvoir. S. R.