C'est au moment où le pouvoir affiche sa volonté de régler la crise en Kabylie qu'apparaissent au grand jour ses raisons inavouées d'y maintenir le statu quo et d'y entretenir les tensions. Ce ne sont pas les préalables déclarés du mouvement citoyen qui empêchent la situation d'évoluer vers le bout du tunnel mais ceux malsains et tus du pouvoir. L'anéantissement des partis politiques les mieux lotis dans la région, tout au moins leur neutralisation à l'approche de 2004, est de ces préalables. Lorsque le Chef du gouvernement, du haut de la tribune de l'Assemblée nationale, annonçait son initiative en direction du mouvement de contestation de Kabylie, on pouvait à peine soupçonner chez lui cette ambition maladive qu'on avait depuis longtemps décelée chez celui qui venait de le nommer Premier ministre : laminer les partis politiques, anéantir toute opposition porteuse d'alternative. Ahmed Ouyahia y avait mis toute sa rhétorique pour donner à son geste les contours d'une action salvatrice à même de prévenir une montée des périls qu'il disait imminente et menaçante pour l'avenir du pays et de l'unité nationale. Il y était allé jusqu'à féliciter le mouvement citoyen de Kabylie de n'avoir pas succombé à la tentation autonomiste. Certes, il excluait d'emblée toute participation des partis politiques au dialogue qu'il préconisait. Mais cela, on pouvait le considérer comme une simple précaution : il ne fallait surtout pas, pouvait-on penser, parasiter la démarche par l'intrusion de politiques de tous bords. Jusque-là, on pouvait donc espérer que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Pourtant... Affolé sans doute par la réponse du mouvement citoyen, M. Ouyahia a fini pourtant par dévoiler la véritable “feuille de route”, assurément secrète, du pouvoir. Il s'agit, en gros, de maintenir la crise en l'état tant que les conditions, toutes les conditions, ne sont pas réunies pour que son dénouement s'accompagne de la disqualification des partis politiques les mieux lotis dans la région. Pour le FFS, c'est chose faite depuis un certain 10 octobre. Reste le RCD, on s'y emploie. Démonstration. Au lendemain du conclave d'Amizour qui renvoyait Ouyahia chez Bouteflika, il y eut d'abord un silence radio. Ni le Président ni son Premier ministre n'ont osé de commentaire. C'est le chef du RND, le nommé Ahmed Ouyahia qui, le premier, exprimera sa “désolation” et ses “regrets” quant aux préalables avancés par les délégués de l'Interwilayas. Cette fois-ci, avec une rhétorique de mauvais goût, voire carrément lamentable. Il s'était cru fondé, en effet, à dénoncer “les corbeaux qui tournoient au-dessus des cadavres en Kabylie”. Dixit Ouyahia. Les cadavres, M. Ouyahia, il fallait surtout ne pas les faire et tout au moins, avoir le cran et la dignité de dénoncer d'abord ceux qui en ont fait cent vingt-trois. Ce cran-là et cette dignité-là, ceux que vous ciblez, ouvertement désormais, les avaient eus et à temps. Vous ne pouvez, donc, aujourd'hui, avoir la prétention de leur couper l'herbe sous les pieds pour une raison très simple : c'est trop tard. Mais laissons les corbeaux à M. Ouyahia. Ce sont des partis politiques, tout simplement. Avec leurs parcours propres, leurs succès et leurs échecs, s'il en est, mais surtout leur naissance, loin des officines betchiniennes. Il est heureux de constater que c'est ainsi que les perçoivent les délégués les plus en vue du mouvement citoyen de Kabylie. Même si une voix dans le mouvement trouve matière à ajouter de l'eau au moulin du secrétaire général du RND, achevant ainsi de révéler le mobile de l'opération. Cette voix affirmait que les partis politiques avaient échoué dans leur mission, que les archs pourraient présenter leur propre candidat à la présidentielle de 2004 et que le mouvement durera y compris après la satisfaction pleine et entière de la plate-forme d'El-Kseur ! Rien de moins ! Exit donc le code d'honneur du mouvement citoyen. On ne sait s'il existe, en Kabylie, une tendance qui voudrait ajouter de l'eau au moulin d'Ouyahia. Mais l'on est sûr, en revanche, que l'un des préalables du pouvoir — car il en a tout comme les archs — au règlement de la crise consiste à mettre les partis politiques sur la touche. Les partis sur la touche et les délégués en liberté provisoire, avec qui veut donc dialoguer M. Ouyahia ? S. C.