Pour avoir observé un silence bizarre, Abdelaziz Bouteflika cautionne implicitement la décision des affaires étrangères. Son discours “d'ouverture” en prend un sérieux coup. Il est en poste depuis le début de l'année 2001. Les projets pleins la tête, le représentant résident du PNUD et coordonnateur du système des Nations unies en Algérie, M. Paolo Lembo, s'est employé à apporter sa pierre dans le vaste chantier de la construction de l'Etat de droit en Algérie. Mission presque impossible dans un pays gangrené par le serpent de mer qu'est la corruption. À Alger, on ne veut plus de lui. On a décidé de l'expulser. Zoom sur un rocambolesque scandale politico-diplomatique unique en son genre. 16 juin 2003 : L'ambassadeur représentant permanent de l'Algérie à l'ONU, M. Baâli, adresse une correspondance à l'administrateur du PNUD à New York, M. Malloch Brown, dans laquelle il l'informe que le gouvernement algérien a décidé de demander le départ définitif de Paolo Lembo. Motif ? La missive, à laquelle nous avons eu accès, souligne que ce dernier, “en dépit de multiples rappels à l'ordre, faits directement à l'intéressé et au niveau de l'administration du PNUD à New York, M. Lembo a continué à agir de manière totalement contraire aux usages diplomatiques et à ignorer le canal du ministère des Affaires étrangères”. Le diplomate algérien note également que Lembo a “continué à faire dans l'agitation et la gesticulation et s'est même permis, lors de conférences de presse, qu'il a tenues lors du dramatique séisme qui a affecté l'Algérie, de se faire passer pour le coordonnateur de l'importante assistance internationale reçue alors qu'il n'était ni de près ni de loin associé à la gestion de la question”. Voilà, officiellement, les raisons qui ont poussé les autorités algériennes à demander la tête de ce diplomate. Comme il est inscrit noir sur blanc, le vocabulaire utilisé est loin d'être diplomatique. “Les agitations et les gesticulations”, dont Lembo se serait rendu coupable, suggèrent tout et rien à la fois. Ce sont tout simplement de grosses accusations non identifiées et surtout non étayées. Le mis en cause, lui-même, avoue son incompréhension des “chefs d'inculpation” retenus contre lui. Paolo, le mal-aimé ! Il ne sait trop quoi répondre à des reproches quasiment incernables. Mais avant d'arriver au fond de cette scabreuse affaire, il y a lieu de noter que le concerné, Paolo Lembo, n'a été saisi par aucune autorité pour s'expliquer sur les accusations portées contre lui où, tout au moins, l'informer de la décision d'expulsion prise à son encontre par le ministère des Affaires étrangères. À ce jour, il n'a reçu aucune notification. Il a appris la nouvelle comme tout le monde, via la presse, avant que l'administration du PNUD à New York ne lui envoie une copie de la lettre qui lui a été adressée par Baâli. C'est qu'on veut visiblement étouffer l'affaire, la réduire à une simple sanction contre un diplomate “indiscipliné”. Ce qui n'est pas le cas. L'incident prend maintenant l'allure d'un scandale. Un scandale très sérieux qui, sans doute, déteindra sur l'avenir des relations entre l'ONU et notre pays, et au-delà avec les grandes puissances de ce monde. Lembo a manifestement fourré son nez là où il ne fallait pas. Là où de gros intérêts sont en jeu : la justice. Il faut savoir, en effet, que ce fonctionnaire de l'organisation onusienne, dans le cadre du programme du PNUD, a initié un plan révolutionnaire de réforme de la justice algérienne. Réforme de la justice, le projet de trop… Le 21 janvier de cette année, il a signé un protocole d'accord portant sur la modernisation et l'informatisation des archives du ministère de la Justice et des cours. Ce chantier, premier du genre dans le monde arabe, devrait permettre aux autorités d'accéder à n'importe quel dossier de n'importe quelle affaire de justice au niveau national. La bagatelle de quatre millions de dollars a été dégagée pour un cofinancement entre l'Algérie et le PNUD. Le projet inclut également la réforme du système pénitentiaire algérien. Mais coup de théâtre : une mission du ministère des Affaires étrangères se déplace au siège de la chancellerie pour tenter de dissuader le ministre Charfi de signer cet accord sous prétexte que “l'Algérie n'était pas prête !”. Ce fut le premier couac. Le premier coup de frein à une réforme unique en son genre. Le ministre de la Justice, lui, a été tellement emballé par le projet qu'il a foncé la tête baissée, organisant même une cérémonie publique pour la signature du protocole. Il a signé lui-même l'accord tandis que le département de Belkhadem a refusé de l'avaliser. M. Charfi était avec M. Lembo sur la même longueur d'onde dans ce programme de réforme qui touche “le corps même de l'Etat”, pour reprendre l'expression de ce dernier. La mise en œuvre de cet ambitieux projet n'a été rendue possible que grâce “à la grande amitié” qui lie les deux personnalités, confie-t-on. M. Charfi a clairement montré sa disponibilité à réformer en profondeur son secteur, M. Lembo l'a assuré de mettre les programmes d'aide du PNUD à sa disposition et tout son réseau d'assistance, notamment dans les pays européens. Voilà le pacte scellé par ces deux hommes pour faire sortir la justice algérienne de sa terrible réputation d'une justice aux ordres qui lui colle à la peau. L'objectif est noble. Le défi est immense. Les embûches sont omniprésentes. Les deux hommes ne cèdent pas pour autant. Pour cause, M. Paolo Lembo a continué son travail d'assistance au secteur de la justice. Et dans le cadre des actions de soutien au programme, il a obtenu le principe de faire venir le directeur général du célèbre organisme italien antimaffia, Vigna, les 16 et 17 de ce mois, en Algérie pour signer un protocole d'accord avec le ministère de la Justice. Vigna, Charfi et la corruption Cet accord, rare pour les pays du tiers-monde, prévoit la création d'un centre d'investigation pour la criminalité financière et la mise en place des mécanismes de coordination de la lutte contre la criminalité tout court. Il a aussi réussi à obtenir un stage de formation pour les juges algériens afin de renforcer leur indépendance. Pour ce faire, une délégation du Conseil supérieur espagnol de la magistrature séjournera le 14 de ce mois en Algérie à l'invitation de M. Paolo Lembo. La mission des Italiens, tout comme celle des Espagnols, est certes maintenue pour la semaine prochaine, mais on ne sait pas trop si elle sera suivie d'effet. Car, entre-temps, le départ de Paolo Lembo s'est confirmé. C'est l'intéressée lui-même qui nous a confié qu'il quittera son poste à la fin du mois de juillet. Et tout porte à croire qu'il emportera dans ses valises ses projets. Seul restera son ami Charfi qui aura bien du mal à travailler sans M. Lembo. Le ministère des Affaires étrangères, qui a refusé catégoriquement d'apposer son visa sur ces accords, a sans doute réussi à les capoter en provoquant le départ du coordonnateur du système des Nations unies. On le voit bien, la lettre de Baâli qu'il a adressée à l'administrateur du PNUD à New York dans laquelle il lui demande, au nom du gouvernement algérien, de remplacer M. Paolo Lembo, prend une tout autre signification. “L'agitation et les gesticulations” seraient donc liées à ces réformes qu'il a initiées avec le ministère de la Justice et qui gênent, manifestement, en haut lieu. Il y a aussi l'Assemblée populaire nationale (APN) avec laquelle Paolo Lembo a entamé un programme de modernisation qui va de la formation des députés jusqu'à l'équipement de leurs permanences et qui, semble-t-il, est mal vu du côté d'El-Mouradia. Pour toutes ces raisons et d'autres encore, le représentant résidant du PNUD en Algérie, Paolo Lembo, est mal vu. Sa présence est devenue, depuis quelque temps, indésirable. Le ministère des Affaires étrangères a exercé sur lui une espèce d'embargo diplomatique. En dépit des accusations très graves portées contre lui, on n'a pas jugé utile de le convoquer. Pas même par écrit. C'est pourquoi on a fait entorse aux usages en la matière, en ne l'informant même pas de la demande qui en a été faite à New York pour le faire partir. Une démarche aussi maladroite qui cadre très mal avec le statut de cette personnalité mais surtout avec la réputation de l'organisation qu'il représente, l'ONU en l'occurrence. H. M. Le silence du ministère des affaires étrangères “Pas de commentaires” Au ministère des Affaires étrangères, on ne semble pas donner de l'importance à cette affaire qui relève, il est vrai, de la souveraineté nationale. Contacté, hier, pour connaître la version officielle, mais surtout pour savoir pourquoi Paolo Lembo n'a pas été convoqué, le porte-parole des A.E. s'est contenté de dire ceci : “Il n'y a pas de commentaires à faire sur cette question, c'est une décision souveraine du gouvernement algérien.” H. M.