L'ambassadeur d'Algérie en Iran a transgressé les règles protocolaires, préférant adresser sa demande pour “un congé spécial” directement au chef de l'Etat au lieu de passer par le ministre des Affaires étrangères. La guéguerre entre les partisans de Benflis et ceux de Bouteflika, au-delà du fait qu'elle soit une cuisine interne du FLN — un parti qui fonctionne par l'intrigue et les coups bas —, prend maintenant la dimension d'une affaire d'Etat. Les déclarations dangereuses de Abdelkader Hadjar, théoriquement ambassadeur d'Algérie à Téhéran, et son implication, corps et âme, dans cette tentative de destitution de Ali Benflis de la tête du FLN, constituent un précédent unique et grave dans les annales de la diplomatie algérienne. Envoyé en Iran, à sa demande, en qualité d'ambassadeur, Hadjar vient de “s'auto renvoyer” vers Alger pour “mener la guerre contre Benflis”. Un comportement pareil défie toutes les lois de la République. Un diplomate payé en devises sonnantes et trébuchantes du contribuable, quittant son poste dans un pays étranger pour mener une protesta “FLNo-flniste” en Algérie relève assurément de la politique-fiction. Plus grave encore, l'inénarrable Hadjar a “grillé” son ministre des Affaires étrangères — sa tutelle directe — en ne lui adressant pas sa demande de congé spécial. “Il est vrai que j'ai adressé ma lettre directement au Président et non pas à mon supérieur hiérarchique (…). Toutefois, il faut savoir que, lors de sa visite à Téhéran, j'ai informé Belkhadem de ma décision, donc je n'ai pas jugé utile de lui écrire…”, a-t-il révélé au Jeune Indépendant. Question : quand un fonctionnaire de ce rang ignore superbement son ministre, en faisant l'économie d'une correspondance administrative, ne serait-ce que pour sauver les formes, que faut-il attendre d'un P/APC, d'un DG d'une entreprise ou d'un simple enseignant d'une école primaire ? La trouvaille de Abdelkader Hadjar ne devrait pas être appréhendée uniquement sous le prisme du respect des charges officielles dont on est chargé ou, plus prosaïquement, de la notion de service public. Elle remet en cause la notion de République. L'escapade de cet envoyé “très spécial” de Téhéran est un coup asséné à notre diplomatie qui a pourtant commencé à sortir la tête de l'eau après plusieurs années d'embargo. Facteur aggravant, Hadjar avoue lui-même qu'il n'a pas encore reçu de réponse de la part du président de la République sur sa demande de congé. En clair, il est pris en flagrant délit d'abandon de poste. Et quel poste ! Notre ambassadeur en Iran a piétiné les lois de la République et la souveraineté nationale, en optant pour une mission autre que celle qui lui a été confiée. Il a préféré se consacrer à la gestion d'un autre coup d'Etat scientifique dont lui seul semble connaître les secrets, plutôt que de défendre les intérêts de son pays en terre iranienne. Le FLN est-il à ce point plus important que l'Algérie ? La question coule de source quand on observe que les autorités, à leur tête le chef de l'Etat, se complaisent dans un silence presque complice devant la “fugue” de Hadjar. Le propos ici n'est pas tant de pérorer sur la justesse ou non du “combat” que mène cet homme contre les dirigeants de son parti ; question qui relève de la cuisine interne. Mais c'est le fait que ce personnage est investi d'une mission éminemment diplomatique par l'Etat algérien et qu'il a nonchalamment laissé tomber au profit d'un engagement partisan. Hadjar oublie-t-il que l'ère du parti-Etat est définitivement révolue ? À moins qu'il ne soit recruté spécialement pour effectuer cette tâche. Auquel cas, le ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Belkhadem d'abord et le président de la République ensuite doivent fournir des explications à l'opinion publique qui a bien du mal à faire le distinguo entre Hadjar le diplomate et Hadjar le comploteur. Et quand on sait que le Président l'a reçu en audience, l'affaire prend l'allure d'un vrai scandale politico-diplomatique. Nul en effet n'a le droit de cautionner ce chevauchement dangereux dont l'ambassadeur s'est rendu coupable, à plus forte raison le président de la République garant de la Constitution et du respect des principes de la République. Que Abdelkader Hadjar promette l'enfer à Ali Benflis est de son droit en tant que militant du FLN. Mais qu'il le fasse en pleine mission diplomatique et d'une manière aussi engagée, cela s'apparente à une dérive. Une dérive parce que ce même Hadjar risque d'être convoqué prochainement devant le tribunal pour répondre des accusations portées contre lui par la direction du FLN. Et pourtant, il est censé être à Téhéran… H. M.