On est, certes, loin du tableau chaotique décrit la veille par des voyageurs éconduits, évoquant des personnes livrées à elles-mêmes et des crises d'hystérie. Tout est-il donc parfait pour les clients d'Air Algérie et d'Aigle Azur ? Il ne faut pas rêver ! Entre caddies surchargés et voyageurs pressés, il est difficile de se faufiler à l'aéroport parisien d'Orly-Sud. C'est d'ici que partent les compagnies qui desservent le Maghreb, mais aussi l'Afrique, les îles de l'océan Indien ainsi que quelques villes d'Europe et d'Amérique latine. Quelle que soit la destination, quasiment tous les comptoirs d'enregistrement sont pris d'assaut, ce dimanche 12 juillet en milieu de journée. Derrière ceux d'Air Algérie et d'Aigle Azur, les files sont longues. Les écrans affichent des départs vers Alger, Oran, Béjaïa, Annaba, Sétif, Tlemcen. Qu'ils soient de l'une ou l'autre compagnie, tous les vols sont annoncés à l'heure. Heureux voyageurs ! En tout cas, plus chanceux que ceux en partance vers Vienne, Prague ou Beyrouth dont les vols sont “retardés”. Devant le comptoir d'Air Algérie, il y a comme une mobilisation. Le représentant général, M. Benahmed, est là, répondant personnellement aux sollicitations des clients qui ne devinent pas ses fonctions. Loin de soupçonner la présence d'un journaliste, le chef d'escale se montre également poli et attentionné. Les files sont donc longues d'un côté comme de l'autre, mais la fluidité ne manque pas. On est franchement loin du tableau chaotique décrit la veille par des voyageurs éconduits, évoquant des personnes livrées à elles-mêmes et des crises d'hystérie. Tout est donc parfait pour les clients d'Air Algérie et d'Aigle Azur ? Il ne faut pas rêver ! Même en ce dimanche, certaines scènes sont de nature à éveiller les instincts criminels qui sommeillent en chacun de nous. Même la liste d'attente a été supprimée “Demain, je leur brûle la boutique !” hurle un jeune homme pour apaiser la douleur de sa mère effondrée en larmes. Sa colère vise une agence privée auprès de laquelle la dame a acheté trois billets pour elle et ses deux enfants mineurs. Au moment de l'enregistrement, c'est la stupéfaction. Air Algérie ne trouve pas trace de son nom. Une investigation permet de découvrir que la dame et ses deux enfants étaient réservés pour le 7 juillet. En réalité, l'agence a avancé la date de son départ sans jamais l'informer de ce changement. “Hram alihoum ! Pourquoi ils me font ça ? Cela fait quatre mois que j'ai acheté mes billets”, pleure la dame. Et Air Algérie ne peut rien pour elle parce qu'il n'y a pas l'ombre de l'ombre d'une place. Même la liste d'attente a été supprimée. La compagnie assure 62 vols par semaine au départ de Paris avec 4% de voyageurs en plus que l'année dernière. “Nous embarquons ceux qui ont le OK”, explique le chef d'escale à l'adresse d'un homme qui plaide la cause de son paternel dialysé, mais démuni de ce précieux sésame. “Je ne peux qu'exprimer ma sensibilité mais je ne peux rien faire”, répète-t-il dans un langage très empreint de religiosité face à cet interlocuteur à l'argument aussi tenace que la barbe. À quelques mètres de là, c'est un homme qui s'écroule sur le parquet. Quelques instants auparavant, il expliquait au chef d'escale qu'il avait un billet ouvert mais qu'il souhaitait embarquer au plus vite en raison de ses crises d'épilepsie. Equation insoluble ! Quand vint la crise, le personnel d'Air Algérie s'est occupé de lui. Au comptoir d'Aigle Azur, les listes d'attente étaient ouvertes mais un panneau affichait qu'il n'y en aurait pas pour le lendemain, lundi 13 juillet. Les supplications fusent de partout : un billet pour n'importe quelle destination. L'essentiel est de poser le pied en Algérie. Cette masse de voyageurs à terre semble cacher une guerre sourde qui ne serait pas déclarée avec la mise en place de vols supplémentaires. On sait qu'Aigle Azur a essuyé à ce sujet un refus de la part de la DGAC (Direction générale de l'aviation civile) algérienne qui l'a conduite à faire transiter ses clients par des escales impossibles avant leur destination finale. Air Algérie a obtenu l'accord de la DGAC française pour un premier programme. Une autre demande est “en instance”, selon M. Benahmed que l'on sent très soucieux de ne pas souffler sur les braises. Avis aux futurs voyageurs Aigle Azur est une société française et Air Algérie une société algérienne. En réservant sa réponse sur le programme d'Air Algérie, la DGAC française chercherait peut-être à faire pression sur la DGAC algérienne pour l'amener à répondre favorablement à la demande d'Aigle Azur. Si c'est le cas, les clients se retrouvent les otages d'un conflit qui peut-être demandera l'intervention des autorités politiques. Car en Algérie comme en France, la DGAC relève d'une tutelle qui est le ministère des Transports. Avertissement aux futurs voyageurs : si vous avez votre OK, présentez-vous dans les délais car la pression des listes d'attente est telle que la limite d'enregistrement de 40 à 45 minutes avant l'heure prévue du vol n'est pas décalée. Quand le retard est vraiment inévitable, les clients d'Air Algérie peuvent voir leur hébergement pris en charge par la compagnie en attendant le lendemain. Ce n'est pas le seul problème de cette campagne estivale. En raison de son statut de compagnie nationale, Air Algérie a dû gérer avec un certain tact une “situation exceptionnelle” induite par le déroulement du Panaf. Elle a dû embarquer en priorité des artistes attendus en Algérie à la place de voyageurs munis de réservations fermes, lesquels ont été affectés vers les vols suivants. Cela ne va pas sans acrimonie. “On ne peut pas laisser une rade de délégations surtout quand elles n'ont pas de visa de transit”, regrette M. Benahmed. Autre problème : la proximité du Ramadhan “a chamboulé les programmes”, observe encore M. Benahmed. La deuxième moitié du mois d'août étant absorbée par le mois sacré, nombre de familles ont avancé à juillet leur départ en vacances. En conséquence, la pression va se porter sur les retours à partir de l'Algérie durant la première moitié d'août... À cela s'ajoutent les situations induites par les décès. Lorsque le décès survient en France, il n'est pas possible de répondre à la demande des familles qui présentent une vingtaine de personnes pour accompagner le cercueil. Un effort peut être fait pour embarquer deux ou trois personnes au prix d'une grande gymnastique. Il y a aussi les personnes décédées en Algérie dont les proches veulent se rendre aux obsèques. Sauf que les faux décès ne manquent pas et les faux voyageurs éplorés sont prêts à jurer tous les dieux et à vous exhiber des fax comme preuve. Sauf que la mauvaise foi est dans certains cas évidente. On ne va pas à un enterrement surprise en poussant un chariot qui nous dissimule tant il est chargé. Les compagnies aériennes ont certainement leurs péchés mais les clients ne sont pas toujours des parangons de la vertu. A. O.