Cheb Khaled est une star. Pour s'en convaincre, il fallait voir le triomphe que lui a fait la Tunisie lors du Festival de Carthage 2009. Pour une fois, Khaled Hadj Brahim n'est pas en retard. Programmé à 22 heures, le raïman algérien entre en scène avec un sourire aussi large que le théâtre romain qui lui fait face. Il est ponctuel et toujours aussi mal fagoté avec un polo rose, une barbe obstinée et des baskets beiges. Le public n'est pas venu pour son look mais pour cette voix puissante et chaude qui est toujours là. Au premier son, les 5 000 personnes entassées dans les gradins entrent en transe. Rarement le théâtre de Carthage a été bondé ainsi. Pourtant les stars n'ont pas manqué lors de cette édition du festival, probablement le plus renommé dans le Maghreb. Charles Aznavour, Patricia Kass, Warda El Djazaria et quelques crooners orientaux dont les noms demeurent énigmatiques pour les non-initiés. Mais Khaled, c'est une autre dimension. Le raï cartonne toujours en Tunisie. Khaled n'a aucun rival vivant…car seul Hasni peut prétendre lui ravir la palme du succès auprès du public tunisien, essentiellement jeune et féminin. “J'écoute le raï car il raconte nos peines et notre sentiment réel” explique Imad, un jeune tunisien qui voue également un culte profond à Hasni : “Khaled c'est plutôt ma mère qui l'écoute, elle est quelque part par là” en désignant une foule agglutinée et compacte. Car malgré le prix assez cher pour un Tunisien moyen (15 et 26 dinars tunisiens), les fans sont là. Pas une place de libre. Les traverses, les escaliers, les corridors, tout est plein. Khaled se serait même jeté dans le public, il n'aurait jamais touché terre. Fidèle à son jeu de scène minimaliste, scotché à son micro, il libère sa voix sans la ménager au grand plaisir d'un public connaisseur qui connaît chaque couplet,chaque refrain. De “Bakhta” à “Wahrân” en passant par “Yamina”, le public lui donne la réplique comme une sono de feed-back. Mais au fait, de quel public s'agit-il? Les drapeaux algériens qui flottent dans les gradins font croire que la majorité de l'assistance est algérienne. Cela aurait été logique du fait que Carthage est entre Gamarth, une station balnéaire prisée par les Algériens et Tunis-ville, où l'on parle couramment l'algérois. Visages détendus, peaux bronzées et surtout mixité sans agressivité, on pouvait douter que ce public soit algérien. On n'avait pas tort. Il ne l'est pas entièrement. On l'a compris quand Khaled, charmeur récidiviste, met sur ses épaules le drapeau tunisien et le public explose. Même un policier applaudit. C'est dire que Si un policier tunisien t'applaudit, cela prouve à quel degré d'estime est placé Khaled. Khaled joue devant un public maintenant définitivement tunisien. Il accroche un petit bouquet de jasmin. Avec son embonpoint, il s'est transformé en un Tunisien lambda. Au secours, on nous a volé Khaled! Le concert est un triomphe. Deux têtes blondes tentent de trouver de la place. Stuart est anglais et tient une bonga, un soda local entre les mains : “J'adore cette musique. D'ailleurs j'aime tous les chanteurs irakiens” !...à moins que ce qu'il tenait à la main était une bière. Enfin, le public a répondu présent pour Khaled. Alors que le concert s'achevait, des jeunes sans ticket tentaient encore d'escalader le mur malgré le cordon policier impressionnant. À la Radio nationale tunisienne, Khaled est en direct sur les ondes. Carthage résonne dans le lointain. Le Hannibal du raï a conquis la Tunisie. M. B.