En 1959, en pleine guerre d'Algérie, Albert Camus, encore tout auréolé de son incroyable nomination, recevait au palais de Stockholm le prix Nobel de littérature. Non sans mal d'ailleurs, un groupe d'étudiants algériens s'étant bruyamment invités pour le conspuer et le traiter de tous les noms, y compris celui de bâtard… … Une première sous les lambris des Bernadotte qui ont dû faire frou-frou sous les dentelles, car jamais pareille insulte n'a été proférée devant tant de têtes couronnées, de calvities universitaires et de célébrités internationales, réunies dans une même salle. Peu importait le protocole en usage, mais pour faire entendre la voix de l'Algérie combattante, toutes les arènes étaient bonnes à investir et toutes les insultes étaient bonnes à dire. L'étiquette, à la cour de Suède, n'a jamais arrêté le moindre char ni démobilisé le moindre contingent. L'ambassadeur de France, visiblement gêné par cette intrusion, protestera pour la forme et réussira à faire évacuer la salle, mais pas à imposer le silence à un chahut qui gagnera la rue. C'était cela le but de l'opération du petit commando de potaches : frapper un grand coups médiatique. Et dénoncer ce Français hybride, d'origine espagnole, ni homme de gauche ni écrivain de droite et viscéralement incapable de prendre une position tranchée dans un conflit armé qui aurait dû l'interpeller. Comme il a interpellé les intellectuels du monde entier, à commencer par Sartre qui refusera le Nobel. Du pain beni évidemment pour la presse people qui n'a pas raté une miette de l'incident. Surtout Paris Match. De Camus, qui a préféré finalement sa mère à l'Algérie, que reste-t-il aujourd'hui de sa période oranaise ? On sait qu'il a passé de nombreuses années à Oran. Il aurait habité la rue d'Arzew (aujourd'hui Ben-M'hidi) aux environs du numéro 100 ou 118. Il a enseigné la philosophie au lycée Pasteur et faisait, semble-t-il, de nombreuses escapades à la corniche où il avait gîte et couvert chez un pied-noir qui tenait un ranch. Camus ne fréquentait pas d'indigènes et n'en connaissait aucun. Dans ses romans — la Peste entre autres — le musulman est zappé, rayé de l'intrigue, il ne fait même pas partie du décor. D'ailleurs, il n'y a jamais que deux personnages tout au long de ses ouvrages : les Européens d'Algérie et… les Européens d'Algérie… le reste n'est que rhétorique. Voilà pourquoi Camus restera toujours l'éternel Etranger à Oran. Rien ne rappelle son souvenir, pas même son oubli.