Farouk Ksentini est, comme chacun le sait, l'œil des droits de l'Homme en Algérie. Tout en continuant à veiller sur le respect des libertés en Algérie, il a trouvé le temps d'aller superviser la transparence de la réélection du président de Tunisie. À l'issue d'un scrutin serré où le Président “sortant” a été contraint de passer sous la barre des 90%, le président de la CNCPPDH a confié son sentiment à notre confrère l'Expression. Il déclare notamment : “On dit qu'il ne sert à rien d'organiser ces élections car le résultat est connu d'avance. Mais si elles ne sont pas organisées, ce sont les mêmes qui vont crier sur tous les toits que la Tunisie n'organise pas d'élections.” Conclusion de la démonstration : il faut donc organiser des élections pour qu'on ne puisse pas dire que la Tunisie n'organise pas d'élections, même si le résultat est connu d'avance. La question de savoir s'il est normal que le résultat soit connu d'avance ne semble pas perturber la réflexion de maître Ksentini. Ce qui semble séduire Ksentini, c'est que “la Tunisie est un pays apaisé” et les citoyens “sont disposés au dialogue plus qu'ils ne veulent imposer leur opinion par la force de vue”. Il apprécie apparemment une Tunisie “pacifiée” par la répression et le verrouillage politique, regrettant une Algérie qu'il trouve encore frondeuse et qui a “le don de passionner les choses”. Ce parti pris pour l'expression muette ne l'a tout de même pas dissuadé de défendre, avec passion parfois, les “droits” des plus excités d'entre nous, des enflammés qui ensanglantent le pays depuis deux décennies ! À côté de Ksentini, l'Algérie était représentée à cette fête de la démocratie par Saïda Benhabylès. Celle-ci a trouvé que “l'organisation a été parfaite” et que “les opérations de vote se sont déroulées selon les normes internationales”. Sans trop préciser l'organisation de quoi, elle veut probablement dire qu'il y avait des urnes, des isoloirs, des bulletins et des électeurs avec des cartes d'électeurs. Avec Ksentini et Benhabylès comme observateurs internationaux, les Tunisiens étaient assurés d'un vote aux normes. Normes maghrébines. Nos observateurs nationaux ont acquis une grande pratique de la démocratie locale avant d'aller en faire profiter nos frères et voisins tunisiens. D'un autre côté, l'expérience tunisienne leur a peut-être permis de s'exercer à la cuisine du cinquième mandat. On pourrait toujours en avoir besoin un jour. Dans une région où les tensions redoublent parfois, il est bon de constater cette solidarité politique. Faute d'interdépendance infrastructurelle, économique, culturelle, cet échange de légitimité nous procure une certaine harmonie régionale. Ainsi, chacun pourra tenir en respect son peuple, à sa manière, pendant qu'il gère le pays à sa guise. Par exemple, dans le même intervalle, pendant qu'en Tunisie, le Président s'offre une élection triomphale précédée de l'étouffement de toute velléité de concurrence, en Algérie on pourchasse quelques exemplaires égarés d'un livre et au Maroc, on condamne deux journalistes. Dans ce Maghreb qui peine à se retrouver, il y a au moins un objet de consensus officiel : la répression concomitante des libertés et le refus partagé de la démocratie. M. H. [email protected]