D'un côté, une Algérie un peu trop sur la défensive et de l'autre, une Europe dans une attitude à la fois paternaliste et rigide. Tel est le constat que des diplomates et des universitaires britanniques ont dressé sur l'évolution en dents de scie des relations de partenariat entre notre pays et l'UE. Que pense la Grande-Bretagne des relations entre l'Algérie et l'Union européenne ? Ayant lui-même des rapports alambiqués avec Bruxelles, le Royaume-Uni reproche à l'édifice communautaire de concevoir sa politique de coopération avec les pays du sud de la Méditerranée, l'Algérie y compris, selon une approche paternaliste. Dans le cas spécifique de notre pays, les Britanniques se plaignent aussi que la France joue à la fois le rôle de l'expert et du favori. La perception, souvent juste, de l'Algérie comme une chasse gardée de leur voisin d'Outre-Manche les irrite. “Cela commence à changer. Mais en Algérie, l'empreinte de la France est encore visible partout, au niveau du fonctionnement des institutions comme la justice, dans le système éducatif. Le français est également la deuxième langue du pays”, regrette la baronne Symons. Cette ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères prenait part jeudi dernier à une conférence expertisant la qualité du partenariat entre l'Algérie et l'UE. L'événement, tenu à Birkbeck College à Londres, était organisé conjointement par l'Association des études algériennes (Society for Algerian Studies) et le Conseil d'entente arabo-britannique (Council for Arab-British Understanding). D'anciens hauts diplomates du Royaume-Uni en Algérie, des universitaires ainsi que des représentants de notre ambassade y ont pris part. Sous l'œil des analystes britanniques qui se sont succédé à la tribune, l'Algérie et leur pays se distinguent par une résistance similaire à souscrire à des initiatives communautaires qui pourraient gommer leur souveraineté. “Les Algériens voudraient garder le contrôle sur leur politique de développement”, estime Mme Symons. Selon elle, la propension de l'Europe à vouloir imposer sa propre vision, en matière de partenariat, explique en partie la lenteur et les ajournements ayant retardé jusqu'à 2002 la signature de l'accord d'association entre l'Algérie et l'UE. La même raison à ses yeux justifie les réserves exprimées par le gouvernement algérien sur l'Union pour la Méditerranée (UPM) mise sur les rails par le président français Nicolas Sarkozy. Lui emboîtant le pas, le Dr Hugh Roberts, vice-président de l'Association des études algériennes, et chercheur universitaire spécialiste de l'Afrique du Nord, identifie deux variables qui alimentent les soupçons de l'Etat algérien à l'égard de toutes les offres d'intégration, émanant de l'Europe. La première raison évoque une obsession à préserver et à faire respecter son indépendance. En second lieu, l'Algérie tient à ce que son rôle de leadership régional soit reconnu. De l'avis du Dr Roberts, cette double préoccupation explique la tendance de ce pays à vouloir diversifier ses partenaires étrangers. La question démocratique est évidemment le sujet qui fâche dans les relations entre l'UE et l'Algérie. Pourtant, selon le Dr Roberts, Bruxelles a rarement entretenu une opinion honnête et altruiste à ce propos. “L'Europe a instrumentalisé la revendication démocratique pour faire pression sur le régime algérien, au moment où la situation économique dans le pays était désastreuse. Cette approche est cynique”, note l'universitaire, faisant remarquer à juste titre que l'UE n'a pas hésité à ravaler ses critiques quand les caisses se sont remplies. La propension du Vieux Continent à établir une relation asymétrique avec ses voisins du sud de la Méditerranée et qui préserve en priorité ses intérêts, trouve une parfaite illustration dans le cas de l'Algérie, pense aussi le Dr Claire Spencer, directrice du programme de recherche sur l'Afrique du Nord à l'Institut royal des affaires internationales. Retraçant les conditions dans lesquelles le processus du partenariat euroméditerranéen a été lancé en 1992 à Barcelone, elle précise qu'à l'époque, l'Europe avait considérablement négligé l'Algérie en raison de son conflit interne. Pour l'UE, dit-elle, il était surtout important d'empêcher que la violence qui décomposait ce pays ne se répande à l'extérieur et l'atteigne. Le Dr Spencer rappelle à cet effet qu'il aura fallu attendre l'affaire du détournement de l'Airbus d'Air France en 1994 et les attentats dans le métro parisien en 1995, pour que l'Europe, à l'instigation de la France, se penche sur le problème du terrorisme en Algérie. En 1998, elle avait décidé d'y envoyer une troïka pour enquêter sur le massacre de populations à Relizane. Pour l'universitaire évidemment, cette attitude très égoïste des pays de l'UE explique amplement les atermoiements dans l'élaboration et la signature de l'accord d'association avec l'Etat algérien. Elle montre aussi pourquoi aujourd'hui, la coopération sécuritaire, dans le cadre de la lutte antiterroriste constitue une part très importante du partenariat entre l'Algérie et l'Europe. Intervenant au cours des débats, Mourad Adjabi, chargé d'affaires à l'ambassade algérienne à Londres, estime qu'il faut inscrire la coopération dans une dimension plus large qui satisfait l'intérêt des deux bords. Selon lui, des dossiers comme la lutte antiterroriste ou l'immigration ne doivent pas occulter la prise en charge des besoins spécifiques de l'Algérie en matière de transfert de technologie par exemple. Dans le domaine économique, la place prépondérante de notre pays en qualité de troisième fournisseur de gaz pour l'OCDE est superficiellement bénéfique. C'est du moins ce que pense Hakim Darbouche, chercheur à l'Institut des études sur l'énergie d'Oxford. Selon lui, la dépendance énergétique de l'Europe ne rend pas service à l'économie algérienne, devenue presque totalement tributaire du volume des exportations en hydrocarbures. À l'évocation de la part des investissements européens en Algérie, le chercheur estime que notre pays “se vend encore mal”. Rory Fyfe, expert économique, identifie un certain nombre d'obstacles d'ordre bureaucratique, fiscal et bancaire qui décourage les hommes d'affaires européens. Ce genre de verrous inspirent Sir Alan Monroe, ancien ambassadeur britannique dans notre pays, l'idée d'une Algérie encore sur la défensive, plus ouverte à la globalisation mais toujours inhibée par un profond sentiment de nationalisme.