La tournure tragique que prennent les évènements du Caire et de l'après-Caire pose un vrai problème de la “géopolitique de l'émotion” (*). Deux ministres et un ambassadeur présents au Caire, pour certains sur les lieux de l'embuscade tendue aux Verts, n'ont pas trouvé la riposte diplomatique à la hauteur de l'affront. À peine une convocation de l'ambassadeur égyptien à Alger, vite contrée au Caire par celle de son homologue algérien, réitérée hier, comme si c'était aux Algériens de s'expliquer. Du Caire, Hadjar insiste pour nier le décès d'un supporter sur lequel tous les témoignages insistent. Tout se passe comme si nos autorités cherchaient à couvrir la gravité de l'agression sanglante contre la délégation algérienne. Il faut éviter que la démonstration de colère tourne à l'émeute destructrice, bien sûr. Mais, l'objectif aurait été plus accessible si l'Etat égyptien avait montré la moindre volonté de sévir, avant, contre les actes d'agression commis par ses ressortissants, et de les condamner, après. Et si l'implication de l'Etat égyptien qui a, pour le moins, facilité l'agression massive de nos ressortissants n'était pas établie. Les manifestations auraient été plus apaisées si le pouvoir avait mis plus d'énergie à demander des comptes à son homologue égyptien sur le traitement inacceptable réservé aux nationaux. Le détournement d'attention, par une préparation zélée de la campagne du Soudan, aurait été compréhensible – et plus aisé – si l'Etat avait pris les dispositions qui s'imposent en pareil casus belli. À l'évidence, la sauvegarde de l'illusoire “fraternité arabe” n'explique pas tout, dans cette paralysie officielle quand il s'agit d'une offense égyptienne. Des précédents révèlent une curieuse et systématique résignation politique face aux provocations du Caire : la réaction à la proposition de réforme de la Ligue arabe fut l'occasion de l'observation, ainsi que les propos outrageants de Moubarak sur “l'erreur de l'Algérie d'avoir introduit le multipartisme”. Pour un comportement bien moins brutal des Tunisiens à Sousse, la réaction nationale fut bien plus ferme. Enfin, l'affaire n'aurait pas pris ces proportions si la Fifa avait pris ses responsabilités dès les premiers signes de cet indescriptible traquenard. L'instance internationale, mue par on ne sait quelles considérations, semble avoir pris le parti de fermer les yeux sur tout moyen que l'Egypte emploierait pour se qualifier, ouvrant la voie à la tournure tragique que les évènements ont pris. Et provoquant la colère incontrôlable des supporters des Verts, puis de tous les citoyens. L'appel au calme du gouvernement sera difficile à faire respecter, dans ce contexte. Le comportement “civilisé” qu'il nous suggère a depuis longtemps été éradiqué par le fondamentalisme importé des “Frères musulmans” qui nous ont inculqué “la loi du talion”, décidément applicable entre “frères”. Là aussi, en matière de civilisation, séduits par les vertus assujettissantes de l'islamisme, nous avions choisi le fanatisme des foules contre le civisme de l'individu. Le retour à la civilisation suppose peut-être la fin de l'amarrage politico-idéologique à une sphère géo-culturelle qui invite à la régression. Cette tragédie nous en donne les raisons et l'occasion. M. H. [email protected] (*) Titre d'un livre de Dominique Moïsi, chercheur en relations internationales.