Jamais de mémoire d'Algériens le pays n'a vécu des instants aussi chargés d'émotion et de patriotisme. La communion entre les invétérés férus du football et les admirateurs de l'actuelle équipe nationale est totale. Le coup de sifflet de l'arbitre seychellois, qui a mis fin à un terrible match entre les Verts et les Pharaons, a libéré tout un peuple d'un stress qui aura duré plus de 90 minutes. Echaudés par l'expérience de samedi dernier où les adversaires de l'équipe nationale ont marqué leur deuxième but aux ultimes minutes du temps additionnel, les Algériens n'ont pas voulu exacerber le sort, même si leur équipe avait l'avantage. Ce n'est donc qu'à la confirmation de la victoire, et par ricochet de la qualification des Verts à la Coupe du monde de football 2010, que les supporters ont fait exploser leur bonheur. Les deux générations, qui n'ont pas connu l'exultation des Algériens un certain 5 juillet 1962, auront vécu dans la nuit d'hier un remake de cet événement historique. Tout Alger est sorti fêter la qualification de Yazid Mansouri et ses coéquipiers au rendez-vous de l'Afrique du Sud dans une ambiance que les mots, aussi expressifs soient-ils, ne sauraient rendre. Quelques minutes à peine après la fin du match, les rues de la capitale ne parvenaient plus à contenir la foule, sortie célébrer la qualification au Mondial. Il suffit de repenser à la frénésie, qui s'est emparée d'Alger, ces trois derniers jours et l'amplifier à outrance, pour imaginer l'ambiance d'un après- match qui a honoré toutes ses promesses. Dans certains quartiers, comme la Place des Martyrs, la Place Audin, ou encore la Place du 1er-Mai, il est difficile de circuler en voiture, à 21h, tant les supporters ont pris d'assaut trottoirs et chaussées, scandant des slogans à la gloire des Verts et de l'Algérie (Allez les Verts, allez ; one, two, tree, viva l'Algérie ; dinaha ya louled…), ou fredonnant à tue-tête les chansons composées aussi en l'honneur de notre équipe nationale de football. Les véhicules, drapés de l'emblème national et de posters des joueurs, déambulaient dans les grands boulevards, jeunes hommes et jeunes filles, habillés en vert, blanc et rouge, le buste complètement sorti des fenêtres. Partout la même liesse. Dans la rue, comme dans les maisons. Des femmes, de leurs balcons, lancent des youyous au passage des cortèges les plus spectaculaires. Il faut croire que les supporters ont redoublé d'imagination pour décorer leurs véhicules. Sur une voiture, une peluche blanche géante est collée sur le capot dans l'attitude d'un mort. Sur le ventre du jouet, une inscription hostile à Hassan Shehata, le coach de l'équipe égyptienne. Sur quelques autres, une imitation d'un cercueil enveloppé du drapeau égyptien. Dans un autre véhicule, un homme de forte carrure, assis dans la malle ouverte, porte le masque de Frankenstein. Beaucoup d'Algérois ont tenu à immortaliser ces moments historiques en filmant avec leurs caméscopes le défilé de la victoire. Jamais, de mémoire d'Algériens, le pays n'a vécu des instants aussi chargés d'émotion et de patriotisme. Le football, et plus particulièrement les protégés de Rabah Saâdane, ont réussi à réconcilier les Algériens, notamment les jeunes, non seulement avec eux-mêmes, mais aussi avec leur pays. Ils ont désormais le sentiment de posséder un bien collectif que leur envient d'autres peuples, dont leurs adversaires du jour, les Egyptiens. Jamais l'hymne national n'a été entonné avec autant de ferveur dans les quartiers les plus défavorisés. Jusqu'au matin, et certainement demain aussi et les jours à venir, les Algérois, comme leurs concitoyens dans les autres villes de l'Algérie, continueront à faire la fête et à rêver d'une grande épopée footballistique, eux qui ont été absents de la Coupe du monde pendant vingt-quatre ans. Au moment où nous mettons sous presse, nous n'avons pu que transcrire une ambiance de début de soirée. La nuit sera longue et aux couleurs de l'équipe nationale de football.