Nous savions déjà qu'en termes d'analyse comparative avec d'autres pays émergents, l'Algérie est très mal placée s'agissant du nombre, de la taille et des chiffres d'affaires réalisés par ses entreprises. Par exemple, lorsqu'on prend le critère du nombre d'entreprises pour 10 000 habitants. Autre exemple plus significatif, aucune entreprise algérienne, ni africaine d'ailleurs, ne figure sur la liste de 100 entreprises “challengers” des pays émergents établie par le Boston Consulting Group (BCG). Y figurent par ordre croissant l'Argentine, la Hongrie, l'Indonésie, le Koweït avec respectivement une entreprise, le Chili, la Turquie et la Thaïlande avec deux chacun, la Malaisie avec trois, les Emirats arabes avec quatre, la Russie avec six, le Mexique avec sept, le Brésil avec quatorze, l'Inde avec vingt et enfin la Chine avec trente-six. Cette faiblesse de l'offre nationale est particulièrement lisible quand elle est couplée au taux exceptionnel d'investissement public en Algérie, qui atteint le quart du PIB national ces cinq dernières années avec un nouveau record en 2009, puisque ce taux approche du tiers. Force est de constater que beaucoup d'entreprises algériennes sont passées à côté de cette opportunité pour émerger, alors que quelques autres ont tout simplement échoué sans que les leçons n'aient été tirées. Alors, on voit bien que l'un des enjeux stratégiques actuels pour une croissance durable tourne autour de la capacité du pays à promouvoir de nouveaux “acteurs et moteurs de la croissance” pour reprendre le thème de la conférence-débat organisée le mercredi 25 novembre par le Cercle d'action et de réflexion autour de l'entreprise (Care) avec le soutien de la Fondation F. Neumann. On peut, me semble-t-il, ordonner la prise en charge de cet enjeu majeur autour de quatre séries de questions à traiter : les fausses pistes à éviter, les verrous à faire sauter, les mutations culturelles à opérer et l'efficacité des politiques publiques à rechercher. D'abord pour les fausses pistes, j'en ai repéré une : celle du tout-libéral, c'est-à-dire celle qui consiste à considérer que les entreprises publiques n'ont plus aucun rôle à jouer et devraient même disparaître. Ainsi certains estiment, par exemple, que l'assainissement financier en profondeur de douze d'entre elles, annoncé au Parlement par le ministre des Finances dans le cadre du débat sur la loi de finances 2010, est inutile, voire plus. Je voudrais simplement rappeler, à ce propos, l'expérience de l'industrie des hydrocarbures de la Russie. Cette dernière avait commencé dans le cadre de sa démarche de privatisation “big bang” à liquider ses entreprises publiques du secteur. Elle a mis plus de deux décennies à s'en relever. Deuxième élément, on peut constater que des entreprises publiques chinoises, indonésiennes et même égyptiennes opèrent efficacement sur notre marché. Enfin, chez nous tout le monde peut constater que nous payons cher la dissolution systématique des noyaux publics d'engineering et des grandes entreprises de réalisation dont on aurait eu tant besoin aujourd'hui. Pour tout vous dire, il y va de l'économie comme de la politique : c'est l'art du possible. En effet, il vaut mieux une EPE en difficulté que pas d'entreprise du tout, c'est-à-dire recourir au reste du monde. Le deuxième type de problèmes est relatif aux verrous à faire sauter. À commencer par les rentes faciles qui ont un effet d'éviction sur l'investissement local, préférant tout naturellement les profits exceptionnels de la revente en l'état et de la bulle immobilière à la création plus difficile de richesses. Ensuite, il faudra réduire les surcoûts engendrés par la bureaucratie qui se traduisent en charges sur les comptes d'exploitation, mais finissent aussi par épuiser l'énergie des entrepreneurs dans le traitement de faux problèmes. Comment voulez-vous qu'un entrepreneur exporte si pèse sur lui un risque pénal, s'il dépasse de quelques jours les délais contractuels de rapatriement, alors que tout le monde sait que les rapports entre client et fournisseur ne sont pas tout le temps binaires ? Quant aux mutations culturelles, elles concernent une partie des entrepreneurs privés qui doivent changer de carte mentale sur trois aspects. Passer de la propriété personnelle ou familiale à la propriété sociale, former aux techniques et au management modernes, faire appel beaucoup plus à l'expertise, même si cela semble coûter cher à court terme, enfin écouter le marché et aller à l'international car avec les zones de libre-échange, les concurrents sont déjà là. Il est bon de méditer ce propos de Mauricio Botelbo du groupe aéronautique brésilien Embraer qui, lorsqu'on lui posait la question sur l'avantage concurrentiel de son entreprise, répondait : “C'est la qualité de nos ingénieurs.” Quatrième et dernier point, les politiques publiques. En plus de débureaucratiser les interfaces administratives et d'organiser les marchés, il convient de prendre la mesure des mutations économiques en matière d'économie fondée sur la connaissance (EFC) et de la globalisation. Pour le premier aspect, le meilleur appui à apporter est de mettre en place un système d'éducation et de recherche performant qui accompagne l'innovation des entreprises. S'agissant du deuxième aspect, créer un fonds d'investissement est une bonne chose, mais le cantonner dans l'espace national sera au final inefficace car pour gagner en compétitivité, les entreprises algériennes ont besoin d'acquérir des actifs technologiques, industriels et de distribution à l'étranger. En vérité, tout a été dit et les analyses sont déjà faites. C'est à présent le temps de l'action, mais une action concertée.