Selon Omar Racim, l'effritement de la société andalouse et l'éparpillement des musulmans chassés d'Espagne à travers les principales villes du Maghreb ont permis à la musique chère à Ziryab d'être recueillie et propagée par les milieux citadins. Ce fut non sans altérations, reconnaissait-il, la musique andalouse subissait alors amputations et appauvrissement dus à la situation économique et sociale des plus précaires au Maroc, en Algérie comme en Tunisie. À Alger, plus particulièrement, cette musique connaîtra un autre sort du fait de l'influence et du rôle positif joués par les milieux religieux, soufis principalement. À l'instigation des imams des mosquées malékites et hanafites, cet héritage va être sensiblement enrichi, dès le XVIIe siècle, par une poésie religieuse et mystique à la gloire d'Allah et de son Prophète (QSSSL). Il ne pouvait en être autrement, Alger, de par sa splendeur, le haut degré de sa culture et la somptuosité de son architecture, était considérée comme la résurrection de Grenade en Afrique du Nord, soutenait non sans fierté le frère du miniaturiste Mohammed Racim. Omar a eu le privilège de consulter personnellement un diwan écrit de sa propre main par l'imam de la Grande Mosquée d'Alger, cheikh Abderrahmane al-Amine. Y étaient transcrits 24 modes avec autant de noubas, chaque nouba comptant à elle seule pas moins de vingt programmes. Ce qui confirme la thèse répandue au début du XIXe siècle selon laquelle cheikh Mohammed Mnemèche, le professeur de Mohammed Sfindja, connaissait des dizaines de programmes par nouba. Comme pour battre en brèche les idées reçues, s'agissant du rapport de la musique à la religion, Omar Racim insistait sur le rôle éminemment positif joué, au début du XVIIIe siècle, par le poète et savant cheikh Ahmed Benamar, muphti malékite dont la mission a consisté à sauver ce patrimoine de la perversion. De nombreux disciples reprendront le témoin, à l'image d'Ahmed Ben Qobtan, imam de Djemaâ Jdid et professeur de cheikh Mohammed Boukandoura, lui-même muphti hanafite. Continuant sur sa lancée, le frère de Mohammed Racim situe le grand chantre de la musique classique algéroise Mohammed Sfindja dans cette même lignée. Il est vrai que par son métier et la voix qu'il avait, l'ancien disciple de cheikh Mohammed Mnemèche ne pouvait qu'être sollicité, y compris par les gens du culte qui étaient, à l'époque, autant poètes que mélomanes, et même musiciens pour certains d'entre eux. Egrenant ses précieux souvenirs, Omar Racim fait part d'un témoignage particulièrement édifiant sur l'attitude fort heureuse de certains savants de l'islam, parmi lesquels il est aisé de citer cheikh Mohammed Abdou. Cela se passait en septembre 1903, à l'occasion de la visite du recteur de l'université d'al-Azhar cheikh Abdou à Alger. Un concert de musique classique algéroise était donné, par un notable de la ville, en l'honneur de l'invité de marque égyptien. Pendant que cheikh Mohammed Sfindja interprétait un morceau d'anthologie dont il avait lui seul le secret, un convive, Mohammed Kamel Belkhodja, crut intelligent de présenter ses excuses à la personnalité égyptienne, le chantre algérois malmenant la langue arabe classique. Loin d'être dérangé par la manière dont la langue était restituée, cheikh Abdou considéra que non seulement le chanteur se distinguait par la maîtrise de son instrument et le respect de l'architecture mélodique, mieux, il interprétait une musique de loin supérieure à celle égyptienne, tant par son authenticité que par sa beauté. Il convient de souligner ici que l'école soufie algéroise était des plus florissantes et renfermait des personnalités dont la renommée dépassait les frontières nationales. Cette ouverture d'esprit et sur l'autre contribua à faire voler en éclats les faux-fuyants et à faire de la musique instrumentale, pourtant diabolisée par les faux dévots, un auxiliaire de la vie spirituelle. A. M. [email protected]