Au lieu de faire des diagnostics précis, le voilà jouant au père Fouettard, vitupérant les citoyens pour leur médiocrité. Bouteflika ne nous a pas encore dit officiellement s'il est candidat à sa succession. Ses intentions ne sont pourtant pas insondables. À un journaliste français qui l'interrogeait à ce sujet, sa réponse a été qu'il ne “savait faire rien d'autre que servir l'Algérie” et qu'il ne se déroberait pas devant aux sollicitations du peuple. Parce que, lui, Bouteflika ne demande jamais rien. Et le peuple est là pour le presser de se présenter en avril 2004. C'est bien ce que veut nous faire croire le président de la République à travers la multiplication de ses visites dans le pays profond. La mise en scène est grossière. Mais qu'importe ! Lorsqu'il sera amené à annoncer la grande nouvelle, il faudra bien qu'il en explique les motivations. Comme il a perdu le soutien de ses anciens parrains et qu'il est sans ancrage partisan, il saura tirer prétexte des visites qu'il continue d'effectuer à l'intérieur du pays. Dans son infinie magnanimité, Bouteflika répondra alors à l'appel du peuple. Sortiront alors des moyens encore difficiles à imaginer. C'est du moins le pari hasardeux de Saïd, le petit et néanmoins puissant frère. Saïd jure que nous n'avons encore “rien vu” de tout le dispositif qui sera mis en branle le jour J. Le citoyen a pris l'habitude d'attendre. Et il verra ! Mais déjà il a quelques certitudes que ne changera pas la décision de Bouteflika de solliciter ou non son suffrage. Il sait par exemple que la fonction de chef d'Etat a pris, au cours de ces dernières années, un coup dont pâtira longtemps la nation. Avec Bouteflika, la fonction a perdu de son aura. À l'intérieur du pays. Mais aussi à l'étranger où l'image de l'Algérie n'est pas restaurée comme nous le dit le constat fallacieux des courtisans et des zélateurs. Dans tous les pays du monde, et quel qu'en soit le régime, le chef d'Etat incarne l'unité du peuple et de la nation. Dans les pays démocratiques, il garde son prestige même auprès de l'opposition. Les divergences politiques peuvent être vives, mais elles sont exprimées dans des formes qui ne ternissent pas la fonction. Lui-même s'interdit les comportements agressifs et attentatoires à la dignité de ses adversaires et des citoyens. Sa parole est étudiée. Ses apparitions calculées. Avec Bouteflika, on est loin de ce schéma. Les discours sont tellement abondants qu'ils ont fini par faire illusion. Les apparitions tellement récurrentes qu'on ne leur accorde même plus l'excuse de la démagogie. En allant tâter le pouls de l'Algérie profonde, Bouteflika voulait sans doute bâtir l'image d'un Président proche de son peuple. Mais ses discours se sont souvent transformés en remontrances. Au lieu de faire des diagnostics précis et d'éclaircir les horizons, le voilà jouant au père fouettard, vitupérant les citoyens pour leur paresse et leur médiocrité. Bouteflika n'a pas hésité à empoigner violemment un professeur d'université à Oran. Image symbolique d'une fonction malmenée par un dirigeant qui se croit tout permis. En quelques années, le mythe s'est écroulé. La réputation du brillant ministre des Affaires étrangères s'est effondrée au fil des échecs internationaux. L'homme du consensus a semé la division. Autour de lui, seule sa famille est tolérée. Sous son règne, la corruption s'est encore élargie. Il promettait pourtant l'équité. Résultat : de Bab El-Oued à Saïda, en passant par Boumerdès, Bouteflika a fait un désagréable apprentissage : celui d'être impopulaire, celui d'être accueilli à coups de pierres et de savates. Et par des bordées d'injures. Jamais l'Algérie n'avait connu cela. S'en remettra-t-elle seulement lorsque Bouteflika aura pris sa retraite ? R. B.