Puisqu'il s'agit d'une tournée nationale, M. Bouteflika n'aura sans doute pas vraiment le choix. Le président de la République a, de toute évidence, décidé d'aller distribuer lui-même les “budgets supplémentaires alloués aux walis”. Cette tournée nationale, maladroitement orchestrée dans la perspective d'une seconde candidature — qui commence à ne plus faire de doute —, comprendra-t-elle donc la Kabylie ? Depuis le déclenchement des événements du Printemps noir, M. Abdelaziz Bouteflika, premier magistrat (de tout le pays, n'est-ce pas ?), a fui la région, et elle n'est pas la seule, comme la peste. Il s'y est rendu une fois, à l'automne 1999, pour les besoins de sa campagne référendaire. Encore qu'à Tizi Ouzou, il a prononcé le déplorable “jamais” concernant tamazight qui lui a valu de sortir sous des jets de pierres. Y ira-t-il donc cette fois-ci ? Le service du protocole de la présidence de la République est incapable de répondre directement à cette question, parce que le chef de l'Etat a planifié sa tournée en y associant uniquement ses plus proches collaborateurs, lesquels se comptent sur les doigts d'une seule main. Le plan est dans sa tête et il serait difficile de le déchiffrer. Quelques indices plaident néanmoins en faveur d'une visite en Kabylie. Une visite qui devrait être sujette à l'acceptation de son invitation au dialogue par le mouvement citoyen, largement dépendant de cette région. D'abord, il s'agit, même si cela ne sera jamais confirmé officiellement, d'une tournée bel et bien nationale. Il serait évidemment incongru d'éviter une région, ou une partie de la région, tout en continuant à se prévaloir d'un statut de “président de tous les Algériens”. Ensuite, les budgets alloués aux différentes wilayas de la Kabylie doivent, à l'instar de toutes les autres, bien parvenir à destination. A fortiori si M. Bouteflika les accompagne d'inaugurations multiples d'édifices nouveaux et d'installations, certainement profitables aux contribuables. Enfin, les dividendes politiques restent plausibles en dépit du ressentiment grandissant des habitants de Kabylie vis-à-vis du président, fruit de son effroyable gestion du Printemps noir. Et ce printemps, est-il besoin de le rappeler, a tout de même coûté à l'Algérie 123 innocents, fauchés par les balles assassines de nos forces de sécurité. Il y va en tout cas de la responsabilité, sans doute délaissée depuis avril 2001, du président et, d'un autre côté, de l'image on ne peut plus ternie de l'institution présidentielle et de l'Etat. Car, il paraît improbable pour M. Bouteflika d'espérer effacer d'un trait de… visite la lourde facture de vingt-sept mois d'errements. Mais l'approche de l'élection présidentielle de 2004, dont il sera indubitablement un des candidats, tue le sens de l'intérêt soudain que l'on pourrait prêter à la région. Pour cela, il est vrai, le président de la République, nonobstant ses larges pouvoirs, n'en est sûrement pas le seul responsable. L. B.