Le dernier et puissant mouvement social dans les branches sidérurgiques et mécanique à Annaba et à Réghaïa est une façon pour le partenaire social le plus concerné de s'inviter au débat sur les mesures concrètes de la stratégie industrielle initiée par les pouvoirs publics. En vérité — au-delà des revendications salariales censées être exprimées et traitées dans les négociations de branches qui se sont ouvertes la fin de la semaine dernière —, ce sont les inquiétudes du monde du travail quant à la pérennité des derniers outils industriels publics ou mixtes qui sont questionnées. Il y a, en effet, de quoi être vraiment inquiet car en dehors de l'Asie la désindustrialisation s'étend à tous les autres continents. Prenons l'exemple de l'Union européenne (UE). L'industrie européenne elle-même avec toutes ses traditions d'adaptation et ses capacités de restructuration est en crise profonde. C'est ce qui ressort en particulier du dossier spécial intitulé : “L'industrie européenne : quelle stratégie de redéploiement ?” de la revue française Xerfi-Previsis dans son numéro 151 de janvier 2010. Ainsi, il y est écrit qu'à la fin 2009, la production industrielle des cinq pays les plus importants de l'UE que sont l'Allemagne, la France, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne recule de 12 ans avec le même niveau que celui de 1997. L'Allemagne qui affichait, selon les données 2007 d'Eurostat, 43% de valeur ajoutée industrielle (VAI) perd son statut de premier exportateur mondial face à la Chine. La France, en dehors du secteur de l'automobile soutenu par les appuis budgétaires de “la prime à la casse”, subit de plein fouet une véritable crise industrielle, alors qu'elle avait en 2007 également, et selon la même source, 18% de VAI. L'Italie est de ce point de vue-là au même niveau que la France. Le Royaume-Uni qui avait, quant à lui, 12% de VAI à la veille de la crise voit son secteur industriel laminé puisque ce dernier perd la moitié de ses emplois. Le pays le plus atteint est à l'évidence l'Espagne qui était déjà le pays le moins industrialisé d'entre eux avec seulement 9% de VAI ; il se retrouve actuellement avec un taux de chômage global de 20%. Il est vrai que l'Algérie — bien avant la crise financière mondiale — avait fait pire avec une contribution actuelle de moins 5% de son secteur industriel au PIB. Les industries métallurgiques et mécaniques de ces cinq pays de l'UE sont “bousculées” non seulement par la croissance industrielle chinoise, mais également par le dynamisme industriel de la Turquie. C'est ce qui explique, par exemple, le forcing des autorités françaises pour empêcher la délocalisation en Turquie de la production de la voiture Clio nouveau modèle du constructeur Renault. Pour revenir à l'Algérie, c'est dans ce contexte de compétition internationale exacerbée qu'il faut contextualiser la position du syndicat d'ArcelorMittal d'El-Hadjar remettant en cause les conclusions des experts du groupe ArcelorMittal, dépêchés pour évaluer la possibilité de remise en état de la cokerie. En effet, on peut s'autoriser à penser que ces experts — venant pour la plupart de sites industriels de l'est de l'Europe qui sont en “corporate” compétition avec le complexe sidérurgique algérien — ont conclu trop rapidement à la fermeture de la cokerie au lieu de sa réhabilitation. En vérité, la balle est dans le camp du ministère de l'Industrie et du groupe Sider qui détient 30% du capital du site sidérurgique algérien. Ce dernier ne peut se contenter d'être un “sleeping partner”. Introduire le problème de la cokerie dans le “plan développement des installations 2010-2014” me semble pouvoir refonder le pacte des actionnaires avec ArcelorMittal rudement mis à l'épreuve. À l'inverse dans d'autres secteurs on peut relever — avec, il est vrai, un retard de phase — une certaine réactivité. Ainsi le ministère du Commerce vient enfin de publier la liste négative de 1 141produits non concernés par le régime d'exonérations tarifaires de la Zone arabe de libre-échange (Zale). Encore faudra-t-il renégocier cette liste avec le comité économique et social de la Ligue arabe. Avec un recul des exportations algériennes en un an — hydrocarbures y compris — de plus d'un milliard de dollars vers les pays de la Zale, (de 2,18 milliards $ en 2008 à 1,09 milliard $ en 2009), je ne vois pas ce qu'il y aurait à négocier. Le secteur du BTPH voit, quant à lui, le renforcement de ses outils nationaux d'intervention avec l'acquisition par le Fonds national d'investissement (FNI) de la totalité des actions de Cosider, détenues respectivement par la Banque publique BEA à hauteur de 55% et la Société de gestion des participations (SGP) Indjab à hauteur de 45%. L'objectif de croissance fixé par le FNI à Cosider est de doubler en cinq ans son chiffre d'affaires en le faisant passer de 500 millions d'euros en 2009 à un milliard d'euros en 2014. Un dernier mot pour conclure. Devant la complexité de la situation et face à toutes ces menaces, on nous dit qu'on ne peut pas tout faire en même temps. C'est vrai, et c'est bien pour cela qu'il faut accorder la priorité au traitement définitif des actifs industriels existants.