Alors que le risque terroriste reste l'une des préoccupations premières des autorités américaines, Londres relève son niveau d'alerte de 3 à 4 sur une échelle qui en compte cinq et la France s'embourbe dans un débat surréaliste sur la burqa tout en reconnaissant que le risque d'attentats sur son territoire est toujours présent. Ces trois puissances, mais aussi la plupart des pays occidentaux payent, d'une certaine façon, leur appréhension erronée de l'intégrisme islamiste et la sous-estimation de son caractère international, leurs calculs étroits et, plus encore, leur laxisme et parfois leur complaisance, pendant des années, à l'égard des activistes islamistes. Au début des années 1990, alors que des organisations terroristes, toutes plus ou moins directement liées au Front islamique du salut, semaient la mort et la destruction en Algérie, Paris et d'autres capitales occidentales recevaient à tour de bras les cadres du parti intégriste et leur accordaient généreusement l'asile politique. Leurs victimes potentielles n'avaient pas droit aux mêmes égards et l'Etat algérien était soumis à un embargo qui ne disait pas son nom, contraint de faire face seul à un fléau programmé pour semer le chaos. Il a fallu les attentats de Paris en 1995 pour que la France daigne réviser quelque peu ses positions à la faveur d'un changement à l'Elysée. Jusqu'à ce que Londres soit elle-même touchée par un attentat sanglant, les islamistes de tous les pays y tenaient meeting, appelaient au djihad en Algérie et programmaient sans doute des attentats au vu et au su des autorités, qui justifiaient leur laxisme par le sacro-saint principe de la liberté d'expression et d'opinion. Ben Laden était alors un allié précieux des Etats-Unis, sinon un agent de premier ordre au service de leurs intérêts. Au nom de la démocratie, Washington, comme Paris et Londres, ont plus ou moins ouvertement souhaité et encouragé l'avènement d'un pouvoir islamiste en Algérie. Sans doute ne savaient-ils pas encore que le terrorisme islamiste ne connaît pas de frontières et pensaient-ils qu'ils se prémunissaient. Les attentats apocalyptiques de New York ont ébranlé l'Occident dans ses certitudes et ont fait prendre conscience de sa vulnérabilité à l'Amérique. Washington est alors brutalement passé du tout laxisme au tout antiterrorisme, non sans quelques arrière-pensées économiques et géostratégiques. Ben Laden et les talibans afghans, précieux alliés dans ses démêlés avec l'ex-Union soviétique, sont déclarés ennemis numéro un et, avec l'assentiment des Nations unies, une force multinationale, principalement américaine, investit l'Afghanistan où elle s'enlise à ce jour. Passant outre le refus du Conseil de sécurité de la cautionner, l'Administration Bush décide d'envahir l'Irak, sous un prétexte fallacieux, sans aucun rapport avec le terrorisme islamiste. Le pays est presque entièrement détruit et le chaos y règne à ce jour. Pendant ce temps, Ben Laden court toujours… Après avoir suscité de réels espoirs de changement d'approche, l'Administration américaine actuelle s'égare à son tour. En dressant une liste rouge de pays dont les ressortissants seraient potentiellement dangereux, parmi lesquels Cuba et l'Algérie, non seulement elle se rend coupable d'une injustice, mais elle commet surtout une erreur stratégique. On peut tout dire de Cuba, mais il est très difficile d'établir un lien entre ce pays et le terrorisme islamiste. Quant à l'Algérie, le monde entier sait que c'est un précurseur en matière de lutte contre ce fléau auquel elle a payé un lourd tribut, mais qu'elle a réussi à contenir avec ses seuls moyens. Les Etats-Unis le savent mieux que quiconque. Le major général Ronald Ladnier, commandant des forces aériennes américaines en Afrique, l'a confirmé mardi à Alger, lui qui est venu solliciter la coopération des forces aériennes algériennes à travers “la mise en place d'une stratégie commune”. La guerre planétaire engagée contre le terrorisme islamiste est une affaire à la fois sérieuse et délicate. Tant que les Etats-Unis, en particulier, et les puissances occidentales en général, se trompent à la fois d'alliés et d'ennemis dans cette difficile entreprise, tant qu'ils pratiqueront une politique du deux poids, deux mesures, et tant que leurs desseins avérés en masqueront d'autres moins avouables, les succès se feront rares et les revers pourraient se multiplier.