Dans le sillage des tensions diplomatiques entre les Etats-Unis et l'Etat hébreu, la visite au Proche-Orient effectuée la semaine dernière par Catherine Ashton est passée presqu'inaperçue et quasiment traitée comme un non-évènement par les grands médias internationaux et par les officiels israéliens. Le contexte est sans doute mal choisi par la diplomate en chef de l'Union européenne pour réussir à faire une place aux 27 dans l'échiquier très complexe de la région, encore moins à s'arroger un rôle de premier ordre dans le processus de paix et les négociations israélo-palestiniennes. “Ashton veut s'impliquer, c'est bien, mais le moment est, malheureusement pour elle, particulièrement difficile”, a-t-on estimé à Bruxelles. “Si les Etats-Unis n'ont rien obtenu des dirigeants israéliens, ne nous berçons pas d'illusions”, a même déclaré un diplomate européen, qui n'a pas hésité à pronostiquer un résultat nul pour cette visite tout comme pour la réunion du Quartet qui devait s'ouvrir, hier, à Moscou. Ce scepticisme n'est toutefois pas partagé par tous. De hauts fonctionnaires à Bruxelles ont estimé que si l'Europe se dotait d'une politique qui lui soit propre et faisait preuve de volontarisme, elle pourrait développer son influence dans la région. Le groupe de réflexion “Notre Europe”, dirigé par Jacques Delors, est même allé plus loin dans l'analyse optimiste en écrivant que “les Européens ont plus de marge de manœuvre qu'ils ne le croient et les Etats-Unis, dans ce conflit, sont moins déterminants qu'ils le voudraient”. D'aucuns estiment, en effet, que l'Europe a des atouts, notamment économiques, à faire valoir dans la région en les mettant au service de sa diplomatie. La haute représentante de l'Union européenne pour la politique étrangère a résumé sa mission comme la transformation en “action positive” du consensus des 27, sur la nécessité que les négociations israélo-palestiniennes aillent de l'avant. Découvrant pour la première fois la région dont elle ignore toutes les subtilités, elle a été accueillie avec une certaine condescendance par le Premier ministre israélien, tandis que certains dirigeants ont carrément fait dans l'ironie. Les Israéliens estiment que Mme Ashton est “en période d'apprentissage sur le Proche-Orient” et ont qualifié ses entretiens de “premiers contacts”. Répondant indirectement au vœu de la diplomate européenne de voir Israël geler immédiatement et définitivement la colonisation en Cisjordanie, y compris dans la partie orientale de la ville sainte, le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, lui a répondu indirectement, d'une manière qui frise l'irrespect, que “cette demande d'empêcher les juifs de construire à Jérusalem-Est, n'est pas du tout raisonnable”. Un autre acteur politique a qualifié de “loufoque” la demande de Mme Ashton de se rendre à Gaza. Des diplomates israéliens parlent du “rôle de l'Europe” dans le processus de paix comme d'un fantasme récurrent. “Depuis des années, l'UE réitère cette demande, mais où sont ses propositions ? Si on veut jouer un rôle, il faut se rendre indispensable”, a déclaré l'un d'entre eux. Dans une déclaration faite au quotidien français le Monde, le président israélien Shimon Pérès a été encore plus explicite à ce sujet, faisant même de la dérision à la limite du casus belli. La salle des négociations israélo-américano-palestiniennes est une “si petite salle, où il y a tant de participants…”, a-t-il ironisé, indiquant clairement que l'immixtion de l'Europe dans le dossier n'est pas la bienvenue. Il faut dire que les dirigeants de l'Etat hébreu ont quelques raisons d'en vouloir à l'Union européenne, notamment sous la présidence suédoise. D'abord pour avoir critiqué “l'annexion illégale” de Jérusalem-Est, ensuite pour la récente adoption (le 10 mars, ndlr) par le Parlement européen d'une résolution invitant les 27 à contrôler l'application des recommandations du rapport Goldstone sur la guerre à Gaza. Quand on sait que l'Union européenne est le principal bailleur de fonds de l'Autorité palestinienne et qu'en tant que telle elle décharge l'Etat hébreu de ses devoirs économiques à l'égard des Palestiniens, le message israélien à son adresse se résume en un cynique : “Paye et ne te mêle de rien !” Sans aller jusqu'à la qualifier d'inutile, la virée proche-orientale de la haute représentante de l'UE pour la politique étrangère est loin d'être un succès. Faut-il s'en étonner alors qu'elle est fortement critiquée en Europe même, tout comme le tout premier président de l'Union, d'ailleurs ?