Invités dans le cadre de la célébration du 30e anniversaire du Printemps berbère du 20 avril 1980, d'anciens journalistes de la Chaîne II (kabyle) de la Radio nationale et de la presse écrite (Boukhalfa Bacha, M. Guerfi, Mohamed-Arezki Himeur, Tazaroute…), ont animé, dimanche dernier à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, une conférence-débats pour parler du “Rôle de la Chaîne II dans l'éveil identitaire”. Intervenant en premier, Bacha Boukhalfa a évoqué notamment les difficultés que rencontraient les journalistes de la chaîne kabyle et les suspicions dont ils faisaient l'objet de la part de leurs responsables et leurs confrères des Chaînes I (arabe) et III (français), avec lesquels ils cohabitaient dès la relance de la radio en 1963, dans une salle commune de rédaction. Il dit se souvenir surtout des moments difficiles de 1963, avec l'avènement du FFS. Tout le monde avait des soupçons à l'égard des journalistes de la Chaîne II. On qualifiait alors les membres de ce parti, s'opposant au système du parti unique instauré par le régime de Ben Bella, “d'ennemis de la Révolution”, et on avait des difficultés de présenter un tel qualificatif, avant d'opter, sur conseil de M. Guerfi, pour l'emploi du terme “d'adversaires”. “En s'approchant des journalistes kabyles, les confrères des Chaînes I et III pensaient que nous parlions d'eux lorsqu'ils nous entendaient discuter entre nous en kabyle, malgré que nous n'interrompions pas nos discussions, alors qu'à chaque fois que nous passions devant eux ou nous nous approchions d'eux, ils arrêtaient, eux, toute discussion”, ce qui nous faisait comprendre qu'ils parlaient évidemment de la chaîne kabyle. Ensuite, des membres des oulémas intervenaient sur les autres chaînes pour dire que “les Kabyles n'ont pas besoin de culture mais d'orge”, avant qu'un groupe de journalistes ne leur réponde que “ce sont plutôt tous les Algériens dans leur ensemble qui ont besoin d'orge, pas seulement les Kabyles”. Bacha Boukhalfa se souvient encore lorsqu'on a supprimé l'émission enfantine de Madjid Bali, qui était très appréciée, puis des missions à l'étranger pour la couverture de tout évènement intéressant l'Algérie pour les journalistes de la chaîne kabyle, et cela a duré jusqu'en 1990. Les appels téléphoniques, les lettres des auditeurs et auditrices galvanisaient en quelque sorte les journalistes de la II pour tenir le coup et casser des tabous. “En 1970, lorsque le pouvoir avait tenté d'arabiser la radio kabyle, en commençant par petites doses, notamment par des diminutions dans ses tranches horaires, déjà maigres, c'était comme si le ciel nous tombait sur la tête”, se rappelle Boukhalfa. “Des pétitions des étudiants dans les universités d'Alger et de Tizi Ouzou commençaient alors à circuler et à nous parvenir, des appels de soutien... Les chanteurs kabyles, comme Idir, Ferhat Imazighen Imula, Aït Menguellet, Mehenni Amroun, Ali Halli, El Hasnaoui, Farid Ali, en sport, la JSK…, nous ont beaucoup aidés alors par leur engagement dans la chanson pour tamazight, en dépit de leur interdiction dans la discothèque de la radio”, se rappelle Mohamed Guerfi, ancien directeur de cette chaîne. “Avec le temps, je compare, aujourd'hui le Printemps berbère de 1980 à la démolition du mur de Berlin en 1989, tellement il a sauvé la radio kabyle de la mort”, ajoute Bacha Boukhalfa. Mohand-Arezki Himeur, qui était, dit-il, à la rubrique culturelle d'El Moudjahid, précisera qu'il existait une certaine interactivité entre les producteurs de la radio et les auditeurs, la cinémathèque qui ramenait divers films sur la culture, notamment des pays de l'Europe de l'Est, les pièces de Slimane Benaïssa au théâtre Mogador… La chaîne kabyle avait lutté beaucoup pour tamazigh.