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A quoi sert l'accord d'association ?
ALGERIE-UE
Publié dans Liberté le 19 - 04 - 2010

L'accord d'association avec l'Union européenne, négocié et signé au pas de charge au début de la décennie, donne aujourd'hui l'impression d'être traîné comme un boulet par les autorités algériennes. Une revue officielle de l'accord est prévue au mois de juin prochain après 5 années d'application. Faut-il s'attendre à un clash entre Alger et Bruxelles ?
C''est ce qu'on pourrait supposer, à entendre les déclarations des ministres algériens en charge du dossier. Voici quelques semaines, le ministre du Commerce, M. Djaâboub, tenait des propos très sévères sur les résultats de l'accord ainsi que sur le caractère “souverain” des décisions prises par l'Algérie dans le cadre de la loi de finances complémentaire, en rejetant très sèchement les critiques formulées à ce sujet par la Commission européenne. Au début de ce mois, c'était au tour du ministre des Finances, M. Karim Djoudi, d'estimer, à l'occasion d'un forum réuni précisément dans la capitale belge, qu'“à la suite du démantèlement tarifaire et de l'entrée effective en zone de libre-échange prévue en 2017 dans l'accord d'association avec l'Union européenne, l'Algérie accusera un manque à gagner annuel de 3,5 milliards de dollars”. Après 5 années d'application de l'accord, “les flux d'investissement européens sont en deçà des attentes de l'Algérie, en particulier ceux destinés à promouvoir la diversification de son économie et de ses exportations”, a poursuivi le ministre algérien.
M. Djoudi soutient que sur le plan commercial, les données pour la période 2005-2009 indiquent que les importations de l'Algérie en provenance de l'Union européenne ont pratiquement doublé alors que nos exportations hors hydrocarbures, déjà très marginales, “sont souvent soumises à des obstacles non tarifaires”. Au total, le bilan de l'accord dressé par le grand argentier algérien est particulièrement négatif : “En dernière instance, c'est moins de ressources fiscales, peu d'investissements, peu d'exportations hors hydrocarbures et une économie qui privilégie l'acte de commerce par rapport à l'acte de produire.”
Le télescopage de deux logiques concurrentes
Pour comprendre les enjeux d'une négociation qu'on nous annonce au cours des prochains mois comme très serrée, voire “très dure” avec le partenaire européen, il n'est pas inutile de revenir à ce qui est la logique d'ensemble de l'accord d'association.
Sur le plan économique et financier, l'ambition de ce dernier est de parvenir à améliorer les conditions de vie des populations concernées, grâce au développement des échanges, à l'amélioration de l'offre de produits et à la baisse de leurs prix obtenus par un démantèlement progressif des barrières tarifaires et la création en bout de course d'une zone de libre-échange.
Le volet financier de l'accord s'appuie d'autre part sur les instruments institutionnels que sont notamment les programmes MEDA 1 et 2 ainsi que sur le développement attendu des investissements directs étrangers dans un pays rendu plus attractif à la fois par la libéralisation de son économie et par l'ouverture et la proximité du marché européen. Après 5 années, les autorités algériennes font donc leurs comptes et s'aperçoivent qu'à la suite du gonflement accéléré des importations au cours des dernières années (38 milliards de dollars en 2008 et 2009 contre 11 à 12 milliards au début de la décennie), la baisse des tarifs douaniers contenue dans l'accord d'association coûte beaucoup plus cher que prévu au Trésor algérien ; déjà près de 2 milliards de dollars en 2009 et certainement plus de 3 milliards en 2017 au train où vont les choses.
Par ailleurs, les orientations récentes du gouvernement algérien en matière d'encadrement de l'investissement étranger sont à l'origine d'une panne des IDE déjà sensible en 2009, mais qui devrait se manifester surtout à partir de 2010 et qui empêche le pays d'exploiter les potentialités ouvertes dans ce domaine par l'accord conclu avec l'UE.
Ajoutons que les financements disponibles dans le cadre des programmes MEDA ont été fortement sous-utilisés pendant toute la décennie écoulée, et on comprendra l'embarras actuel, voire le dilemme des autorités algériennes tiraillées entre les conséquences de la logique de franche ouverture au partenariat qui était celle de 2001 et la démarche pragmatique et de repli sur soi inaugurée voici 18 mois par le gouvernement de M. Ouyahia.
Lecture européenne
Au début du mois de février dernier, une imposante délégation de la Commission européenne, composée d'une douzaine de membres, était en visite à Alger dans le but de tenter de rapprocher les points de vue et de baliser le terrain en prévision de l'importante réunion de juin prochain. Elle a permis de connaître les principaux aspects de la lecture, côté européen, des premiers résultats de l'accord. Elle est de prime abord très différente de celle de la partie algérienne. Les experts européens constatent d'abord que la baisse des tarifs douaniers a bien eu lieu. Ils chiffrent le taux d'imposition moyen des produits en provenance de l'UE à 4,7% en 2008 contre 7,1% pour les autres régions du monde. Leur principale conclusion concernant l'évolution des flux commerciaux a surpris leurs homologues algériens dont l'analyse s'est focalisée sur l'augmentation de 80% de la valeur de nos importations entre 2005 et 2008. Pour les Européens, cette augmentation n'est en rien imputable à la baisse des tarifs douaniers et donc à l'application de l'accord entré en vigueur en 2005. Ils en veulent pour preuve la baisse sensible de la part de marché des produits originaires de l'UE qui est tombée au cours de la même période de près de 58% à un peu plus de 51%. Conclusion : le gonflement des importations algériennes est d'abord la conséquence de l'augmentation de nos revenus pétroliers et il a surtout profité aux produits d'origine asiatique.
Côté investissements étrangers, les fonctionnaires de la Commission de Bruxelles n'ont pas vu non plus la même chose que leurs collègues algériens des AE, des Finances ou de l'Energie qu'ils ont rencontrés au cours de cette visite. Les investissements réalisés par les entreprises de l'UE sont estimés par les Européens à plus de 1,1 milliard d'euros en 2008 alors qu'ils n'étaient que de 234 millions d'euros avant l'entrée en vigueur de l'accord d'association. “Les montants des investissements ont donc été multipliés par cinq”, a affirmé le chef de la délégation de l'UE dans un point de presse organisé au terme de sa visite. Qui plus est “les investissements en 2005 étaient à 70% dans le secteur de l'énergie, aujourd'hui la tendance s'est inversée, ils sont à 70% réalisés hors hydrocarbures. Non seulement les investissements ont fortement augmenté, mais ils ont augmenté dans le sens de la diversification”, selon le fonctionnaire européen qui a ajouté : “Ce n'est pas aux Etats de tenir des engagements en matière d'investissement, ce sont des décisions qui relèvent des opérateurs économiques. Ce que nous pouvons faire en revanche, c'est faciliter les conditions pour que ces opérateurs soient attirés par les conditions du marché algérien.”
On peut s'étonner de cet écart de perception entre les deux parties sur un chapitre aussi sensible. M. Djoudi regrettait, voici encore quelques jours à Bruxelles, la faiblesse des flux d'investissements européens et les chiffrait à environ 500 millions de dollars en 2009. En fait, l'écart est beaucoup moins important qu'il n'y paraît. C'est le nouveau dispositif d'encadrement de l'investissement étranger, annoncé à la fin de 2008, qui a fait la différence en favorisant l'attentisme et en cassant la réelle dynamique enclenchée dans ce domaine depuis le début de la décennie.
Vers une révision de l'accord d'association
Ces divergences qui paraissent profondes et auxquelles s'ajoute un contentieux complexe dans le domaine de l'énergie et des différences d'interprétation sur certaines clauses de l'accord touchant à la souveraineté de la décision économique algérienne peuvent-elles conduire dans les prochains mois à une crise majeure dans les relations entre l'Algérie et l'Union européenne ?
Il semble que si les conditions d'une crise sont potentiellement réunies en raison principalement de l'importance réelle des pertes de revenus occasionnées par la baisse des tarifs douaniers et de la modicité des contreparties engrangées par l'Algérie, cette dernière devrait néanmoins être évitée au prix de ce qui sera sans doute une révision de certaines des ambitions de l'accord. On peut supposer notamment que sur le plan commercial, le rythme de réduction des droits de douane frappant les produits européens pourrait être revu à la baisse. Sans même parler de l'échéance de 2017 qui reste suffisamment lointaine pour ne pas nécessiter de discussions immédiates. Après avoir fait d'abord souffler le froid par la montée au créneau des ministres, c'est apparemment ce message plus tempéré qui a été envoyé aux négociateurs européens à travers l'assurance exprimée par la partie algérienne que “l'accord d'association reste un choix stratégique”. Un message manifestement bien reçu par les Européens qui se sont déclarés disponible pour “mieux adapter l'accord aux réalités et aux potentialités de la relation économique entre l'Algérie et l'UE”. Le raccommodage de l'accord de 2001 qui est en préparation laisse pour notre pays le problème entier. Si l'état de notre appareil de production ne permet quasiment aucune exportation hors hydrocarbures, si notre législation gèle les investissements étrangers et si nous n'utilisons pas sérieusement les financements institutionnels proposés par l'UE, l'accord d'association avec l'UE ne sert qu'à priver le Trésor public algérien de ressources importantes et précieuses.


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