La suspension “commerciale” a fait ce qu'elle a pu : certains journaux ont été réduits au silence pour quelques jours ; d'autres ont été empêchés de parution pour quelques semaines. Mais, pour l'essentiel, le procédé s'est révélé d'une efficacité réduite : la plupart des titres ciblés sont, aujourd'hui, sur les étals. Le pouvoir a vite fait le constat des limites de l'argument économique. Il n'a pas réussi la mise à mort programmée de la presse indépendante et il n'a pas, non plus su dissimuler la nature politique de l'opération de censure totale. Il fallait prolonger l'offensive liberticide par d'autres moyens. La police et la justice se chargent donc de rechercher d'autres formes d'entrave à la liberté d'expression qui semble incommoder au plus haut point ce régime. Le pouvoir est résolu à survivre à tout prix pour s'autoriser de sacrifier l'acquis fondamental pour la perspective démocratique que constitue la presse écrite libre. Il doit aussi cultiver une forte intention de poursuivre ses abus pour tenir autant à imposer le silence autour de lui. Après le vain chantage aux factures des imprimeries vint donc le temps des interrogatoires et des instructions judiciaires sur les responsables de journaux. Maintenant, les convocations de journalistes se font groupées. Comme à la guerre, l'offensive prend des allures de campagne. En conviant six de mes collègues et votre serviteur, c'est pratiquement une rédaction qui sera “suspendue” pour une journée. Il n'y a rien de fortuit dans le fait qu'autant d'éléments de délit de presse soit concomitamment relevés. En faisant feu de tout bois pour étouffer la presse, le pouvoir ne cherche même pas à camoufler l'acharnement qu'il entreprend contre elle. L'argument judiciaire ne fera que suppléer l'argument commercial battu en brèche par une profession résolue à poursuivre sa mission. Une Algérie sans information autre que celle donnée par la voix officielle n'est pas pour demain. Et la mobilisation autoritaire d'institutions pour assumer une répression politique ne suffira probablement pas pour museler les médias indépendants et, par-delà, la société. Car, après tout, la presse est loin de rendre tout le ressentiment des Algériens contre la manière dont leurs intérêts sont méprisés et leur pays pillé. Si l'intention est de châtier les journalistes pour les révélations qu'ils publient et les reproches qu'ils portent aux dirigeants, il faut savoir que la société n'est pas dupe des pratiques mafieuses qui sont à l'origine des fortunes des clans et qui hypothèquent le développement du pays. Un journaliste ne sera jamais suffisamment libre de son ton pour exprimer tout le dépit du citoyen, la victime ultime de cette guerre contre la presse. C'est lui qu'on veut faire taire, en définitive, pour qu'il subisse, à huis clos, le mépris et l'injustice qui sont son lot. C'est pour que l'obscurité ne lui soit pas imposée que le harcèlement multiforme ne nous détournera pas de notre vocation : informer et commenter. M. H.