Pour l'universitaire Mohamed Amine Delaï, présent à Tlemcen à l'occasion du Festival national du hawzi, Saïd El-Mendassi a amplement mérité le somptueux hommage que lui a rendu l'ancienne capitale des Zianides. Une ville qu'il a tant aimée, chérie et pleinement honorée en créant une poésie en adéquation avec la réalité objective de son peuple. Il ne pouvait en être autrement, serais-je tenté d'écrire, surtout que notre poète, souligne Mohamed Amine Dellaï, est né au sein d'une famille qui a su lui transmettre un très fort sentiment d'appartenance à l'arabité qui va déterminer son style littéraire et ses engagements politiques. Ayant bénéficié d'une instruction classique sans pour autant dédaigner la culture dite populaire, et au premier plan la poésie melhoun, que les lettrés de l'époque comme les gens du commun cultivaient avec passion, ce barde a dominé, de son vivant, la scène du melhoun algéro-marocain. Notamment “après la disparition des deux grands précurseurs que furent Sidi Lakhdar Benkhlouf, en Algérie, et Abdelaziz El Maghraoui, au Maroc”. À ce propos, mon interlocuteur, comme pour donner une idée de la stature d'El-Mendassi dans le champ du melhoun maghrébin, me confie non sans une certaine fierté : “Il suffit de dire que les plus grands poètes des deux pays se réclament de lui, directement ou spirituellement.” Comme El-Masmoudi, le créateur de la chanson populaire marocaine, connue sous le nom de griha (aujourd'hui ettarab el melhoun) qui le cite, dans une de ses qacidas. Pour les milieux initiés, la pratique poétique d'El-Mendassi n'est pas sans incohérence. Autant sa présence à Tlemcen était irriguée par un argumentaire en liaison étroite avec la réalité imposée par la soldatesque ottomane, autant au Maroc, il va ainsi devenir le laudateur de sultans. Selon Mohamed Amine Dellaï, la lecture de ces textes tlemcéniens nous renvoie l'image d'un poète au sommet de son art, au style fluide, à la composition variée, au registre de langue soutenu mais toujours accessible, ayant un penchant évident pour la poésie édifiante (el-jedd) mais habillée de (hazl). “C'est la poésie mystico-érotique à double entente. El-Mendassi est un poète qui a du souffle et une inspiration intarissable. Il est déjà un poète reconnu, son audience est largement populaire à la mesure de sa poésie de haute tenue mais qui parle encore à tout le monde.” Il n'est pas encore, me fait remarquer l'universitaire algérien, ce poète courtisan qu'il va finir par devenir au Maroc, en détachant peu à peu son art poétique de ses racines populaires pour s'enfermer dans un dialogue parfois abscons avec l'élite. Après l'intronisation, en 1672, de Moulay Ismaïl, le poète qui fut son précepteur depuis son jeune âge va devenir son barde attitré par le soutien qu'il apporte à travers sa poésie à l'œuvre politique et guerrière de ce roi infatigable. Et c'est la même source qui souligne, ce roi autant puissant que cruel va représenter le chef du Maghreb qu'El-Mendassi appelait de ses vœux, l'unificateur du Maghreb de “Sirat à Sous” ou de “Tlemcen à Sous” comme il dit dans ses textes. Je ne suis pas loin de considérer qu'El-Mendassi a su éviter les écueils du dogmatisme. Ne serait-ce, comme me l'a fait remarquer Mohamed Amine Dellaï, qu'à travers Aqiqa, une qacida qui résume à elle seule la tentative de Saïd El-Mendassi de fonder un melhoun de l'élite, des lettrés, en rapprochant au maximum la poésie melhoun de la langue et de la culture arabe classique : “Il veut faire la démonstration à ces lettrés qui méprisent d'ordinaire la poésie melhoun que celle-ci peut prétendre au statut de littérature savante.” Alors il va procéder au désencodage du melhoun en supprimant tous les référents de la culture populaire et le réencoder suivant les codes de la culture savante. Ainsi, il espère gagner l'assentiment de ses pairs et régler le problème de l'ostracisme des lettrés envers la poésie dialectale signalé déjà par Ibn Khaldoun en son temps. El-Mendassi s'éteint vers 1737 à Sijilmassa où il est enterré. A. M. [email protected]