Chaque année, le mois de jeûne apporte son lot de traditions, du moins ce qu'il en reste d'habitudes et de comportement social spécifiques aux trente jours de carême. Même si la période du jeûne recule de quelques dix jours d'une année à l'autre, le mois de carême chez nous n'apporte guère de nouveautés. C'est un rituel qui se répète annuellement avec les mêmes images. En effet, que ce soit avant ou pendant le mois sacré, les Algériens ne font que remettre ce qu'ils ont fait l'an dernier pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions. Pis encore, ces dernières années où le Ramadhan coïncide avec les grandes vacances et les grosses chaleurs. Tout commence en fait par le rituel des préparatifs qui n'en finissent pas et qui sont lancés au moins une dizaine de jours avant le début du jeûne. Et comme le veut la tradition, le mois sacré ne peut faire son entrée que dans des foyers tout nickel. C'est le grand nettoyage partout. Là où vous levez les yeux, vous apercevrez une femme ou une jeune fille qui lave les fenêtres à grande eau. Même si la maison est propre, l'approche du mois de Ramadhan est toujours une occasion, voire une obligation pour la relooker. Surtout qu'au bout du sacré mois, le jour J de l'Aïd qui verra l'arrivée d'innombrables invités qui constateront les changements et autres modifications apportées dans la demeure pour mieux accueillir sidna Ramdhane. À ce propos, d'ailleurs, nous avons été surpris lors d'une virée au marché El-Djorf de Bab-Ezzouar, connu sous l'appellation marché de Dubaï, par la prise d'assaut par de nombreuses femmes des magasins spécialisés dans la vente de voilages et autres rideaux. Si certaines faisaient la tournée pour trouver le tissu qui fera tourner la tête des invités le jour de l'Aïd, d'autres ont conclu l'affaire et récupèrent déjà le grand sac contenant les rideaux et tentures cousus et repassés. “La prochaine fois que j'achèterai des rideaux, je ne payerai que le prix du tissu, pas la couture et le repassage. Je suis une fidèle cliente”, lance avec un large sourire une femme au vendeur qui lui promet de faire le nécessaire au moment opportun. Accompagnée de sa jeune sœur, cette cliente avoue que “chaque année que Dieu fait, je débourse l'équivalent de 10 millions de centimes dans ce magasin pour changer les rideaux des pièces principales de la maison. Les occasions et les nouveautés nous ruinent ces dernières années où la priorité est accordée beaucoup plus aux apparences”, commente la même dame. Le vendeur reconnaît, de son côté, que les occasions familiales et religieuses sont des périodes propices pour faire des affaires. Car “les femmes craquent pour tout ce qui peut embellir davantage leur maison”. Et de nous raconter la mésaventure d'une autre dame qui lui a commandé de nouveaux rideaux pour sa maison en craquant pour un tissu. Et surprise, mauvaise surprise, les mesures qu'elle avait données au vendeur n'étaient pas correctes. Elle ne découvre sa gaffe qu'une fois les nouveaux rideaux installés. C'était trop court par rapport aux fenêtres du salon, de la salle de séjour et des chambres. “Figurez-vous qu'elle a déboursé 12 millions de centimes. Et comme il n'y a pas de solution, elle a refait la commande et cette fois-ci avec les bons chiffres”, raconte le vendeur qui se frotte les mains. Si au moins les dépenses s'arrêtaient là. Car s'offrir une nouvelle vaisselle est également un rituel ramadhanesque auquel les ménages ne peuvent déroger. C'est à croire qu'ils ont fini le dernier mois de carême en brisant toute leur vaisselle et qu'il faille tout racheter. À notre étonnement, une dame d'un certain âge nous dit avec une grande conviction : “C'est un bon présage (fal m'lih, ndlr) pour toute la famille.” Une autre ajoute : “Vous n'êtes pas obligé d'acheter grand-chose. Un petit quelque chose, ne serait-ce qu'une assiette, est suffisant pour perpétuer la tradition.” En fait, tout est lié aux traditions, et même si certaines ont complètement disparu, celles liées aux préparatifs semblent avoir la peau dure, au grand bonheur des commerçants. La tradition de la nouvelle vaisselle est tellement ancrée dans notre société qu'à l'approche de chaque Ramadhan, les marchés sont inondés d'articles ménagers qui font le bonheur de nombreuses femmes avant qu'elles ne découvrent qu'elles ont été saignées à blanc sans s'en rendre compte, car trop prises par les fameux préparatifs et autres rituels du mois sacré.