La France est aussi à l'heure du Ramadhan. Un vrai marché d'une valeur de cinq milliards d'euros qui suscite de nombreuses convoitises. Un précepte islamique qui revêt un aspect particulier avec l'islamophobie qui s'installe dans ce pays qui s'enorgueillit d'être à la pointe des droits de l'Homme et de la démocratie. Pour autant, le Ramadhan est-il entré dans les mœurs françaises ? Rue de l'Ourcq, dans le Xe arrondissement de Paris. C'est bientôt le f'tour. Des passants d'un pas décidé vers un immense chapiteau tout blanc. Des hommes, plutôt jeunes. Sur le fronton de la méga-kheïma : “La Chorba pour tous”. L'espace est bondé. De jeunes bénévoles des deux sexes officient devant un buffet d'où se propagent des odeurs bien de chez nous : chorba, couscous, kalb el-louz et pain aux grains de sésame. Les organisateurs sont rodés, c'est leur dixième Ramadhan. Une vraie machine mais pour savoir qui est derrière, il faut repasser. Les dons de la Mosquée de Paris et les multiples salles de prières qui ont fleuri ? Trop insuffisants pour un tel déploiement durant un mois entier. Cette année, rien que pour l'incontournable chorba, pas moins de 14 marmites gargantuesques, au quotidien. Les cuistots ! Des mamas au look d'Alger, ces femmes entre deux âges qui cuisinent dans les fêtes. Chaque année, le chapiteau s'agrandit, à croire que le nombre des harragas qui réussissent leur traversée augmente. Non. Le rush ne s'explique que par la précarité qui s'est accentuée au sein des communautés étrangères et d'origine étrangère depuis que Sarkozy règne sur la France. Bien que les jeunes Algériens en soient, comme les autres communautés visibles, les plus atteints, contrairement aux générations qui les ont précédées, ils vivent l'islam à l'algérienne, avec même beaucoup plus d'ostentations. Un peu comme pour marquer une identité mise à mal, pour ne pas dire plus, par les mesures scélérates et racistes, en œuvre, avec délectations même, par le premier flic français, Hortefeux, ministre de l'Intérieur, et son collègue de l'Identité française en charge de l'immigration, Besson, l'incorrigible transfuge du Parti socialiste. Un pied de nez à ce subit projet du pouvoir français de faire table rase de la multiculturalité de la société française. Dans les quartiers jadis de l'immigration, la situation est comme normalisée. Dans le XXe arrondissement, le Ramadhan se vit de façon anodine, voire discrète. Dans la rue de Bagnolet, là où sont concentrés les derniers bistrots d'Algériens, le jeûne est pratiqué sans exubérance. Une boucherie et une épicerie halal tenues par des Turcs qui proposent également un assortiment de douceurs ramadhanesques. L'immigration y est assez bien intégrée et puis il n'en reste pas beaucoup. Les plus chanceux, dont les parents étaient venus de Kabylie durant les glorieuses années de la France (1930), ont quitté les minuscules appartements pour des pavillons en banlieue. Habiter comme les “souchiens”, ces Français d'origine (!), ce fut pour ces vieux immigrés leur revanche à l'histoire coloniale française. Aujourd'hui, ils sont remplacés, au fur et à mesure, par des “bobos”, au pouvoir d'achat conséquent et en quête de quartiers historiques qu'ils retapent et dont la valeur grimpe sans arrêt, faisant fuir les Français d'origine étrangère vers les ghettos des périphéries insalubres. Plus bas, en direction de la Bastille, un autre îlot de jeûneurs, le marché d'Aligre dans le XIIe. Un vieux marché de l'immigration algérienne puis maghrébine avec ses étals de légumes, ses boucheries et épiceries halal. Le marché ne brouille plus comme auparavant, le quartier a été rénové et ici aussi place aux “bobos”. Sur la placette, entre les brocanteurs, qui ont chassé, avec l'arrivée des “bobos”, les friperies et autres étalages de bric et de broc, des “chibanis” pour refaire le monde, échanger des informations sur le bled mais surtout se mettre au parfum sur les sauces dans lesquelles “Sarkozy, Hortefeux et Besson veulent manger l'immigration de religion musulmane”. Pour ces vieux smigards, voire le RCA, la dernière mouture du RMI, leur suivi médical vaut bien les humiliations qu'ils continuent de subir. À l'opposé, la jeune génération d'immigrés du quartier n'est pas du tout disponible à se laisser conter. Français de naissance, Français par naturalisation, permis de séjour de cinq ans et sans-papiers, n'ont pas suffisamment de mots pour dire tout le mal qu'ils portent à leurs hôtes. C'est un peu comme s'ils rendaient la pareille à Sarkozy qu'ils considèrent ni plus ni moins comme l'émule, l'élève de Le Pen. Pour marquer sa différence, voire narguer sa terre d'accueil, un gargotier qui, pourtant fait table pleine avec une clientèle également française de culture, se conduit à l'identique de ses semblables à Alger. Il n'ouvre que pour le f'tour. Plus provoquant. À Barbès, ce n'est plus Rochechouart, mais le marché de Badjerrah ou celui de Bab El-Oued ! À la sortie de la station de métro, l'ambiance est annoncée par les vendeurs de cigarettes à la criée, toutes les marques mais surtout pour “riht labald”, les marques de chez nous et le tabac à chiquer. Sur le boulevard jusqu'à Pigalle et dans ses rues perpendiculaires, la cohue comme chez nous. C'est l'Algérie avec ses diouls, ses ktaïfs, son baghrir, son coriandre, sa menthe sur des cartons. Le pain, la zlabia, le kalb el-louz, sont également proposés sur les trottoirs. Il faut jouer de ses coudes pour passer. Ici les trabendistes sont en compétition avec les filles qui, apparemment, défendent bien leur territoire d'une journée. Un vrai marathon gastronomique. Hormis les marchands de téléphones et de paraboles, la plupart des autres commerces du quartier se sont mis à l'heure de Ramadhan. Comme chez nous, durant le Ramadhan, ils se sont reconvertis en temples de la bouffe. Au point où Tati, l'enseigne fétiche des immigrés et des touristes à petits budgets, tourne au ralenti. Accident collatéral ! À Barbès, le non-jeûneur ne peut pas s'afficher. D'ailleurs, bistrots et cafés n'ouvrent qu'après el-adhan de l'iftar. En 2007, selon un sondage de l'Ifop, 70% des musulmans de France déclaraient avoir strictement observé le jeûne du Ramadhan, contre 60% vingt ans auparavant. Aujourd'hui, le pourcentage a certainement encore augmenté à observer les populations musulmanes dans leurs quartiers. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à affirmer respecter le Ramadhan, voire à le faire respecter. Gare au non-jeûneurs (!), qui se font interpeller par leurs concitoyens. Ces derniers ne manquant de leur rappeler : au-delà de l'obligation de respecter strictement des percepts religieux, le “nif” qu'il y a à se singulariser dans le pays de Sarkozy. La motivation, de ce point de vue, n'est pas que religieuse : observer le Ramadhan est un acte identitaire, la “réponse” aux mesures anti-musulmanes et anti-immigrées qui ponctuent la France de Sarkozy. Son discours sur la délinquance d'origine étrangère passe mal dans les milieux de l'immigration dont celle nombreuse d'origine algérienne. L'immigration d'origine musulmane n'a pas manqué de relever le geste du président américain à l'ouverture du Ramadhan 2010. Obama appuie la construction d'une méga-mosquée à Ground Zero, le lieu devenu le plus sacré des Etats-Unis. Pour les jeunes immigrés algériens, la France ne fait pas assez “pour la visibilité de l'islam en France”. Les responsables religieux, à commencer par le président de la Mosquée de Paris, l'instauration d'un “dialogue serein et paisible entre l'islam de France et l'ensemble de la communauté française” est aujourd'hui indispensable, nécessaire. Pour autant, le mois de Ramadhan n'est pas une période de repli sur soi. Au contraire, à Paris le jeûne, c'est également un mois festif. Côté animation culturelle, il y a l'embarras du choix. À Paris comme en banlieue, des associations se mobilisent pour animer ce mois sacré de multiples évènements culturels. Dans la capitale française, le parc de la Villette et la Cité de la musique font leur grand Ramadham le 28 août : une fête populaire et gratuite pour faire découvrir les musiques du Maghreb au plus grand nombre. Du thé, des dattes et une super ambiance en perspective. L'Institut des cultures d'islam et le théâtre du Châtelet s'associent pour fêter la fin du Ramadhan le 10 septembre. Organisée par l'Institut des cultures d'islam (établissement culturel de la ville de Paris), la 5e édition des Veillées du Ramadhan se déroulera du 2 au 11 septembre. Pendant dix jours : débats, concerts, performances de danse, expositions, projections de films, soirées théâtre, espace librairie, seront proposés. Pour les organisateurs, il s'agit également de montrer aux “souchiens” qu'islam rime aussi avec vie, cohabitation, convivialité et générosité.