La loi électorale turque a été un facteur important dans le raz-de-marée du parti de la justice et du développement qui, avec 34,2 % des voix, remporte 363 sièges sur 550. L'élimination automatique du parlement de tout parti n'ayant pas atteint la barre des 10% a joué en faveur de l'AK. Ce parti, considéré d'obédience islamiste modérée, gouvernera seul. Les sondages ont vu juste, en lui attribuant la victoire d'office. L'AK a fait mieux que ce que les instituts de sondage lui accordaient comme crédit. Il a dépassé de près de 10 % les estimations, qui le situaient aux alentours des 25 %. Fondé, il y a à peine une année sur le cendre du parti islamiste interdit d'Erbakan, l'AK participait pour la première fois aux élections. Son président Recp Tayyip Erdogan, ancien maire d'Istanbul, n'est plus élégible, sur décision judiciaire. Il a été condamné pour “incitation à la haine religieuse”. Erdogan n'était pas candidat à la députation, à la suite de l'arrêt de justice, et ne pourra de ce fait pas diriger le prochain gouvernement turc, car la fonction devra être assuré par un député. Ceci étant, Erdogan n'a pas manqué de se prononcer dès l'annonce de la victoire de son parti en affirmant qu'il allait accélérer l'intégration de la Turquie au sein de l'Union européenne. Il a également précisé qu'il poursuivra l'application du programme de redressement économique, conclu avec le FMI pour sortir de la pire récession qu'ait connu le pays. La large victoire islamiste a laminé les autres partis politiques et plus particulièrement le DSP du chef du gouvernement sortant Bulent Ecvt, grand perdant de ce scrutin. La coalition, qui était au pouvoir, DSP, MHP (ultranationaliste) et mère patrie (ANAP) a totalement disparu du gouvernement. Aucune de ces trois formations politiques n'a franchi la barre des 10% de voix, indispensables pour entrer au parlement. Cette éviction s'expliquerait, d'après les spécialistes de la scène politique turque, par le vote-sanction des électeurs, échaudés par deux années de crise économique à rebondissements. Bulent Ecevit a reconnu la défaite de son parti, tout en déclarant qu'il ne s'attendait pas à une telle déroute. Le DSP n'a, en effet, remporté que 1,3% des suffrages. Devlet Bachceli, chef du MHP crédité de 8%, a tiré les conclusions de ces élections en annonçant son retrait de son poste au terme du prochain congrès du parti. La Turquie, en pleine crise économique qui a conduit à la dévaluation de 50% de la monnaie locale (livre turque) par rapport au dollar et une inflation chronique, est un cadeau empoisonné par le parti de la justice et du développement (AK), qui n'est pas à l'abri d'une interdiction judiciaire. Seul pays musulman membre de l'Otan, la Turquie est instable politiquement et la victoire des islamistes est loin de constituer un gage de stabilité, toute la puissante armée reste très attachée aux valeurs laïques de l'Etat. Depuis 1960, trois coups d'Etat militaires ont renversé des gouvernements. En 1997, une simple pression des généraux a fait tomber le premier gouvernement islamiste turc. K. A. Les chiffres du scrutin • Le Parti islamiste modéré de la justice et du développement (ak) a obtenu la majorité absolue au Parlement en remportant 34,2% des suffrages exprimés aux élections législatives de dimanche en Turquie, selon les résultats complets donnés lundi par l'agence Anatolie. Les résultats officiels devraient être annoncés par le Haut conseil électoral d'ici une semaine. L'AK obtient 363 des 550 sièges au Parlement, tandis que le Parti social-démocrate républicain du peuple (chp) obtient 19,3 % des voix et 178 sièges. Les neuf sièges restants reviennent à des candidats indépendants. Aucun des 16 autres partis en lice — y compris le Parti démocrate de gauche du Premier ministre sortant Bulent Ecevit — n'a obtenu le minimum de 10 % des suffrages nécessaires pour être représenté au Parlement. 79 % des électeurs ont pris part au scrutin. L'AK est toujours menacé d'interdiction • En remportant les élections en Turquie, le parti de la Justice et du Développement (AK), formation issue d'un parti islamiste dissous, s'assure une légitimité, mais n'écarte pas pour autant les menaces de l'appareil judiciaire visant à l'interdire. Fin octobre, le procureur de la Cour de cassation, Sabih Kanadoplu, a, en effet, lancé une procédure visant à interdire l'AK, que dirige Recep Tayyip Erdogan, un ancien maire d'lstanbul condamné en 1998 à la prison pour “incitation à la haine religieuse”. Le procureur a invoqué comme raison le fait que le parti refusait de se défaire de son dirigeant qui, selon lui, n'a pas le droit d'être à la tête d'un parti politique Le Cour constitutionnelle, appelée à statuer sur cette affaire, avait affirmé en début d'année que M. Erdogan ne pouvait faire partie des membres fondateurs du parti. Elle n'avait toutefois émis aucun avis sur son rôle de dirigeant.