L'Europe est embarrassée après la victoire du parti des islamistes modérés AK aux législatives en Turquie. C'est du moins ce que laissent entendre les déclarations des responsables de l'Union européenne (UE) et de ses membres. La Turquie dispose du statut officiel de pays candidat à l'UE depuis décembre 1999, mais n'a jamais pu commencer des négociations officielles d'adhésion, faute notamment de respecter pleinement les exigences de l'Union européenne en matière de démocratie et de droits de l'homme. Le prochain gouvernement turc devra être jugé “à ses actes”, mais l'Union européenne (UE) doit lui accorder “a priori” sa confiance, a estimé le haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Javier Solana, dans un entretien au quotidien Le Monde. “Nous devons juger le prochain gouvernement turc à ses actes. Si nous prenions des décisions ou faisions des déclarations sur le simple fait qu'un parti est “islamiste”, modéré ou pas, nous ferions une grande erreur”, a-t-il affirmé. La Commission européenne s'est déclarée, de son côté, “prête à coopérer” avec les islamistes modérés, en affirmant son attachement à la poursuite des réformes engagées à Ankara. “La Commission attend de la Turquie qu'elle confirme ses engagements en faveur des réformes, afin de se conformer aux critères d'adhésion de l'Union européenne”, a-t-elle réaffirmé. La France a estimé que le résultat des élections turques de dimanche montre la volonté “d'un changement politique important”. Le gouvernement allemand a déclaré espérer un “gouvernement stable” en Turquie qui poursuivra le train des réformes lancées récemment. Le gouvernement allemand “a pris connaissance avec bienveillance des premiers signaux positifs”, a déclaré un porte-parole du gouvernement allemand. Pour sa part, Athènes veut “coopérer et dialoguer” avec le gouvernement qui sera formé par le parti, a assuré le ministre grec des Affaires européennes. La victoire d'un parti islamiste, même modéré, aux élections législatives en Turquie constitue a priori une mauvaise nouvelle pour Israël, mais les diplomates et les analystes israéliens ont accueilli sans inquiétude particulière cette nouvelle. “Je ne suis pas du tout pessimiste. Au contraire, je pense que les relations étroites entre Israël et la Turquie vont se poursuivre”, a déclaré le premier ambassadeur israélien en Turquie. “Si la Turquie veut intégrer l'Union européenne et continuer à avoir de bonnes relations avec les Etats-Unis, deux options d'intérêt stratégique, le nouveau pouvoir ne peut pas modifier ses relations avec Israël”, a poursuivi ce diplomate. La Turquie, pays musulman mais Etat laïque, est le principal allié régional d'Israël depuis 1996, date de la signature d'un accord de coopération militaire qui a soulevé la colère de la plupart des pays arabes et de l'Iran. L'Europe a du mal à croire conciliables démocratie et islam. Les Etats-Unis souhaitent poursuivre leur coopération avec la Turquie et attendent de l'UE qu'elle encourage ce pays à “rester lié à l'Occident”, a déclaré le secrétaire d'Etat américain adjoint pour les Affaires politiques, Marc Grossman. “Nous, comme la Grèce, souhaitons travailler avec le nouveau gouvernement turc”, a affirmé M. Grossman. Le ministère iranien des Affaires étrangères a salué le bon déroulement des législatives en Turquie, sans commenter la victoire du parti AK. La ministre espagnole des Affaires étrangères a estimé qu'il n'existait “aucun obstacle” à l'intégration d'un pays islamiste modéré comme la Turquie dans l'UE, qui n'est “pas un club chrétien”. “Pour l'UE, nous devons attendre et voir quelles sont les conséquences de cette victoire”, a ajouté la ministre espagnole. La victoire électorale du parti AK doit permettre de prouver la compatibilité entre démocratie et islam et lance un défi à l'Union européenne (UE), notait, quant à elle, la presse internationale. En soulignant le “défi énorme” que représente pour l'UE la victoire de l'AK, le quotidien français Le Monde affirmait que le parti islamiste “a la responsabilité d'afficher la compatibilité de l'islam avec la démocratie”. “L'enjeu est colossal pour la hiérarchie militaire turque qui doit laisser gouverner le leader de l'AK”, affirmait l'éditorialiste du Monde, en soulignant que “la plupart des partis traditionnels ont été balayés” de la scène politique turque. “Si l'AK sait réconcilier l'islam et la modernité, la leçon vaudra pour le monde arabe”, ajoutait Le Monde. La Turquie va devenir “le laboratoire d'une démocratie islamique et un échiquier où se jouera une partie à hauts risques entre des islamistes, plus forts que jamais, et une armée, ultime garante de l'Etat républicain et laïque”, jugeait le quotidien français Libération. “Les Européens devront rappeler aux uns et aux autres que démocratie et tolérance sont les conditions sine qua non de leur possible entrée dans l'UE”, concluait Libération. A. C.