Ils assument généreusement, mais non sans difficultés, leur tâche de parents et d'assistants scolaires. Les parents d'enfants handicapés vivent dans le désarroi qui les pousse à taire leur souffrance. Contraints de tous les côtés, ils tentent tant bien que mal de subvenir aux besoins pressants de leurs enfants atteints d'infirmité motrice. Cloué dans son fauteuil roulant, B. S., lycéen, arrive à peine à tenir son stylo. Mais sa maman, une brave dame infatigable, l'a suivi depuis son premier jour d'écolier et il est aujourd'hui en terminale. Elle n'a jamais quitté son fils d'une semelle. “Je surveille jusqu'à sa respiration et il m'est impossible de connaître le sommeil à plein temps, car je dois être à son chevet pour lui faire changer de position”, dira-t-elle. Cependant, elle regrette qu'il n'y ait aucune intervention des autorités concernées afin d'alléger un tant soit peu le quotidien des handicapés semblables ou pires que son fils. Elle arrive grâce à quelques connaissances de chefs d'établissements scolaires, qui voient en elle une parfaite assistante, une femme à tout faire, dans le cadre de l'emploi sous le dispositif IAIJ, pour la misérable bourse de 3 000 DA. Ainsi, la brave femme a accompagné son fils depuis l'école primaire, le CEM et le lycée, où elle exerce en ce moment. “Une façon pour moi d'être proche de mon fils, de l'aider à se mettre à jour en cas de besoin et de le raccompagner en fin de journée. Nous faisons ensemble la navette de plus de 14 km, moyennant une somme de 80 DA pour les frais de transport”, nous confie la maman. Si le service social de l'APC met à leur disposition un fourgon, il n'en demeure pas moins que celui-ci fait défaut, préférant assurer sa “baguette” ailleurs avec plus de dividendes. La bonne dame ne cesse de penser à des dizaines de mères qui souffrent en silence et vivent le handicap de leur enfant comme une malédiction dans la solitude et l'indifférence totale des autorités. Sans soutien, elles ne peuvent faire sortir leurs enfants qui souvent grandissent dans une sorte de confinement où l'on voit se développer chez eux des réflexes violents et une agressivité dans des situations plus qu'inquiétantes. Sans aide psychologique (même les psychologues nouvellement recrutés dans le dispositif de pré-emploi boudent les villages lointains), les parents d'enfants handicapés se voient souvent isolés, surtout quand ils ne peuvent pas venir à bout de leur devoir de ménager, boulot et épanouissement de leur progéniture. Ils restent encore seuls à se culpabiliser. Pour ce qui est de la vie d'enfants handicapés, les villageois, notamment les amis du lycée, leur apportent une grande aide tout en les insérant dans le groupe avec beaucoup de complicité. Car, hormis les 3 000DA de la DAS, aucune autre structure ne leur vient en aide. “Un fauteuil roulant électrique nous a été offert, mais sans en tirer réellement profit car nous logeons dans un endroit au relief accidenté, loin de l'axe routier, ce qui n'est pas sans me causer encore une corvée de plus”, ajoutera notre interlocutrice. D'autres, malheureusement, sont dans des situations plus qu'inconfortables. Leurs parents ne leur ont pas offert l'opportunité d'être scolarisés. Ils croyaient sans doute éviter les difficultés matérielles supplémentaires qu'ils jugeaient inutiles. En outre, dans nos communes et villages retirés, il n'existe aucune structure d'accueil. Pas d'aménagement spécial, ni de bonne initiative allant dans le sens d'améliorer leurs conditions de vie. Par ailleurs, comme le soulignent certains psychologues, la lutte contre des situations handicapantes réside dans l'intégration et la scolarisation de cette catégorie sociale le plus normalement du monde. Aussi, comme le remarque-t-on au village d'Aït Ouabane, à titre d'exemple, les jeunes du village s'organisent pour offrir à cette frange sociale des moments inoubliables chaque fois que l'occasion se présente. Mais si les parents d'enfants handicapés du village d'Aït Ouabane semblent un peu soulagés par des actions de gens volontaires et solidaires, ailleurs, dans chaque village de la Haute Kabylie, leur droit à vivre normalement fait défaut. Loin de tout organisme étatique ou structure associative, les parents de handicapés, comme leurs enfants, sombrent dans les manques, sous le silence des uns et des autres.