“L'enjeu de l'Aqmi est la recolonisation de l'Afrique”. C'est l'une des conclusions dégagées par le directeur par intérim du Centre africain d'études et de recherche sur le terrorisme (Caert), Liess Boukraâ, lors de la conférence-débat sur “le contre-terrorisme au Sahel”, qu'il a animée hier au Centre Echaâb des études stratégiques. D'après le chercheur en sociologie, il existe bel et bien un “axe jihadiste” allant de l'Afghanistan jusqu'en Somalie. “Ce qui se passe dans la région du Sahel est une répétition générale du conflit du Darfour”, a-t-il averti, en notant au passage que “là où les puissances occidentales sont intéressées, les jihadistes sont présents”. Dans son exposé, l'invité du centre d'Echaâb s'est attardé sur les “vulnérabilités” de la région sahélienne, parce que sources de “déstabilisation”, citant “le sous-peuplement alors que l'espace est immense”, les diversités ethnique, religieuse et linguistique, en liaison avec les risques de “leur instrumentalisation”, ainsi que le problème des flux migratoires et la lancinante question de la pauvreté. Sur ce dernier point, M. Boukraâ a relevé que 65% de la population du Sahel vivent avec un revenu inférieur à 1 dollar par jour, en imputant la responsabilité aux gouvernants. Parmi les autres vulnérabilités, le conférencier a évoqué “les divergences” des 7 pays du Sahel sur leur “engagement pour contrer la menace terroriste”, ainsi que “les trafics de drogue et la criminalité organisée” dont la connexion avec le terrorisme n'est plus à prouver. Pour résumer, il a appuyé la “vulnérabilité fondamentale et structurelle” qui, d'après lui, renvoie aux “défaillances des Etats postcoloniaux incapables d'imposer leur autorité sur la zone entière”. Mais, le responsable du Caert n'a pas pour autant négligé “les catastrophes occasionnées par la colonisation”, estimant que “le dépeçage de l'Afrique a été fait par la colonisation”, et en observant que “les frontières n'ont aucun sens sociologique ni culturel”. Dans son intervention, Liess Boukraâ a aussi établi que “le passage du GSPC à l'Aqmi est une rupture réelle”, contredisant ainsi les experts qui tablent sur “la continuité”. “Avec l'Aqmi, nous sommes sur un autre registre de violence”, a-t-il déclaré, non sans signaler que “Aqmi est l'arbre qui cache la forêt”. Dans cette optique, il s'est référé aux “3 types d'acteurs” qui cherchent à s'installer durablement dans le Sahel, qu'il a représenté par “l'axe business” ou encore “la criminalisation financière”, “l'axe politico-économique” intéressé par les richesses de la région et conduit par les cartels et multinationales, et enfin “l'ingérence étrangère” visant à transformer le Sahel en “zone de chaos”, voire en “zone d'affrontements entre les superpuissances”. Par ailleurs, le conférencier a constaté que les rançons faisant suite aux rapts commis par l'Aqmi rapportent à cette dernière quelque 100 millions d'euros, non compris l'argent des trafics (trafics d'armes, de drogue et de cigarettes…). Au cours du débat, Liess Boukraâ a annoncé que l'Aqmi est “un leurre”, en revenant néanmoins sur “le véritable enjeu de recolonisation et de redécoupage néocolonial” conforme à “la nouvelle logique du capital”. Il s'est également exprimé sur l'acharnement de certaines puissances occidentales, principalement la France “néoconservatrice”, qui veulent “isoler l'Algérie et lui éviter de jouer un rôle de leader ou de principale force, compte tenu de son expérience dans la lutte antiterroriste”. “L'isolement de l'Algérie permet de lever un obstacle majeur à la reconquête de la région”, a-t-il expliqué. Par manque de temps, l'invité d'Echaâb n'a malheureusement pas pu répondre à certaines questions, notamment celles l'interpellant sur les frontières héritées de la colonisation et sur l'obstination du Maroc et de certains milieux à vouloir présenter le Front Polisario comme un mouvement lié à l'Aqmi.